Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


mercredi 17 janvier 2018

La bande dessinée est pleine de gentils.

Pour moi, on peut aborder le personnage de deux façons :
  • Soit on sait ce qu'il pense.
  • Soit on ne le sait pas.
Si on sait à quoi pense le personnage, peut importe comment, peut importe pourquoi, on va se rapprocher de lui. Montrer un personnage agir, peu nous chaut. On voit tous les jours des tas de gus agir dans la rue sans en avoir rien à cirer. Mais commencer à entendre ses pensées, et comprendre pourquoi il fait ci ou ça, et nous voilà placés directement dans l'intimité d'un personnage sans qu'on n'ait rien demandé. On va se positionner par rapport à lui, et entrer dans une sorte de dialogue silencieux. « Alors, là, oui, je suis d'accord. » « Alors, là, non, franchement, tu pousses le bouchon un peu trop loin Maurice. » Qu'il soit bon, méchant, soupe-au-lait ou complètement casse-couilles, le fait est qu'on sera à côté du personnage, en train d'essayer de le comprendre. On va devenir une espèce d'ami, de sidekick, prêt à tout pour l'accompagner dans ses aventures.

ÊTRE PROCHE DU PERSONNAGE.

Si, en plus, son quotidien ressemble au nôtre, on sera à ses côtés en train de s'identifier. « Hé ! Moi aussi je prend la voiture des fois ! Comme on est trop frères de voiture ! » « Hé ! Moi aussi je marche dans la rue des fois ! Comme on est trop connectés ! Il se passe un truc entre nous, là, non ? ». Plus on s'identifiera, plus on aura l'impression de vivre des aventures par procuration, des aventures qu'on aurait pu vivre nous aussi, si les circonstances l'avaient permis. Comme si la vie du personnage était parallèle à la nôtre. Celle d'un voisin, ou, encore une fois, d'un ami.

Lapinot est bourré de trucs comme ça : toutes les cinq pages, paf, un petit événement-comme-dans-la-vraie-vie-des-vrais-gens. Qui ne s'est jamais énervé avec un mec qui tracte dans la rue ? Qui ne s'identifie pas totalement avec Lapinot à ce moment là ? (Peut être les mecs dont le boulot est de justement tracter dans la rue, ceci dit...)

ÊTRE ÉLOIGNÉ DU PERSONNAGE.

Si, au contraire, le personnage s'éloigne de nous et vit des choses soit extraordinaires, soit complètement étrangères à notre quotidien (la vie d'un homme préhistorique, par exemple), on gardera cette sorte de proximité intellectuelle avec le personnage et l'impression qu'on peut le comprendre, mais on perdra l’impression qu'on pourrait être lui et lui pourrait être nous. C'est souvent volontaire de la part des scénariste pour construire des personnages over-cools ou méga-surpuissants. Des personnages idéalisés avec lesquels ils n'est même pas question de pouvoir rivaliser.

Corto Maltese est l'idéal de son auteur : il est le personnage que Hugo Pratt aurait voulu être. Un peu plus beau gosse, beaucoup plus romantique, qui voyage tout le temps, et qui tombe toutes les filles (ce qui nous renseigne sur Hugo Pratt : il avait la dalle, il avait envie de se taper tout ce qui bouge). (Imaginons maintenant que Joann Sfar et Hugo Pratt se rencontrent, est-ce que ça fait un trou noir ?)

Corto Maltese, le Harvey Weinstein du début du XX° siècle.

Superman est un idéal : il incarne la bonté.


Superman, franchement, c'est un mec super.

De la même manière, les personnages idéaux sont souvent entourés de personnages beaucoup moins recommandables qui servent d'intermédiaires entre le lecteur et lui (Jimmy Olsen chez Superman, Raspoutine chez Corto Maltese, Christophe Castaner chez Macron) ; des personnages dont les lecteurs sont généralement plus fans, parce qu'ils sont moins distants (ils sont plus comme nous, moins moralement hauts et inatteignables) (Christophe Castaner, par exemple, il a sans arrêt des angines, ce qui explique sa voix grave, moi qui suis sans arrêt malade, ça me le rend sympathique). C'est avec ce genre de personnages qu'on va entretenir ce fameux dialogue lecteur-personnage. Au final, on se rapprochera également du personnage idéalisé, mais avec un degrés de séparation de plus. (Je suis proche de Raspoutine, qui est proche de Corto Maltese, donc je suis un peu proche de Corto Maltese quand même.)


En fait, Corto Maltese, pour rester classe, n'est jamais vraiment moteur de l'action de ses propres aventures. Il se laisse porter par le fil de l'eau, et ce sont les personnages secondaires qui font avancer le bazar. (Ici : Raspoutine arrive, et l'aventure commence.)

Ici : Raspoutine arrive, et l'aventure commence.
(C'était juste pour vous prouver que je raconte pas toujours n'importe quoi.)


ÇA SE COMPLIQUE.

Tintin, c'est encore plus particulier, parce que, certes, Tintin est un idéal sans super pouvoir (il agit toujours moralement exactement comme il faut, traque les méchants, sait faire de l'alpinisme, de la pagaie, monter à chameau, à cheval, piloter un avion) mais c'est aussi, un peu, une coque vide (son visage n'a aucun trait marquant, son appartement est pauvre en déco, on ne connaît rien de sa vie, il n'a pas de copine, etc...). Donc, ce qu'il se passe c'est que 1°) Tintin est un idéal, donc 2°) il se met en place la même mécanique qu'avec Corto Maltese, qui est qu'on va plutôt essayer de devenir ami avec les amis du héros, plutôt qu'avec le héros en lui-même directement, qui a l'air un peu de se la péter. 3°) En l’occurrence, on va devenir ami avec Haddock, qui est rigolo, plein de défauts, lui, pas de soucis, on sait toujours ce qu'il pense, vu qu'il le cri. 4°) On essaye donc de se mettre dans les pas de Haddock, d'imaginer qu'on peut vivre les mêmes aventures que lui et, justement, à côté de Haddock, il y a un jeune gus, même pas sexué, dont on ne connaît rien, on sait à peine où il vit, on sait même pas comment , on peut très bien imaginer qu'il vit comme nous, avec le même style, les mêmes goûts, les mêmes manies, vu que rien ne nous dit le contraire (à part qu'il a vraiment des goûts vestimentaires de merde). 5°) En étant d'abord repoussé par l'idéalité de Tintin, on en vient à marcher à côté de Haddock, puis, en se glissant dans l'image presque vide à côté de lui, on en vient à s'incarner dans Tintin. 6°) Hergé a inventé le personnage à turbo-répulsion-fusion-inversée. Brillant.

De la même manière que Raspoutine est le moteur des aventure de Corto, Haddock (et à peu près tous les autres personnages) sont les moteurs des aventures de Tintin.

C'est assez visible dans cette page, dans laquelle Tintin est finalement assez statique, alors que tout le monde s'agite autour de lui et le traîne par la peau du cou vers les ennuis.

Finalement, Tintin, c'est un casanier qui s'ignore.

ÊTRE ENTRE LES DEUX.

Dans la plupart des cas, les scénaristes vont faire un compromis entre le personnage bon-copain-avec-qui-on-n'a-pas-honte-de-traîner-en-sous-vêtement et le personnage idéal-super-beau-super-cool-super-gentil-qui-mange-bio-recycle-aide-les-petites-vieilles-est-milliardaire-a-su-rester-simple. Dans ce cas là, le personnage sera idéalisé, mais avec quelques gros défauts pour qu'on le sente malgré tout un peu proche de nous. Il va jouer au yoyo avec le lecteur. Un coup on va le trouver trop cool, un coup on va se dire qu'il nous ressemble.

Astérix est râleur, cabochard, il se dispute et se bagarre tout le temps. Bon, d'un autre côté, il est intelligent, part à l'autre bout du monde à chaque fois qu'un gus qu'il ne connaît pas vient lui demander de l'aide, lutte pour le bien, et redresse les torts.


C'est un héros, y a pas de doutes, mais qui peut agir comme la pire des têtes de lard quand il est sur les nerfs. Astérix est un mix entre Tintin et Haddock. 
(Alors que Obélix est plus un mix entre Haddock et Tournesol, le pur sidekick, quoi.)

Gaston est une sorte d'idéal perverti. Il est gentil, il est écolo, il aime les animaux, il recycle, il invente, il construit, il n'aime ni l'armée, ni les chasseurs, ni les parcmètres. Mais il est tellement boulet et feignant que toutes ses qualités deviennent des poids pour ses collègues de boulot. Il devient une espèce de maniaque tellement plongé dans sa bulle qu'il n'arrive plus à voir qu'il nuit aux autres. C'est un héros positif tellement poussé à l’extrême qu'il devient encombrant. 


De cette manière Gaston se rapproche de nous quand on a l'impression d'être un gros lourd dans un groupe et qu'on sert à rien. On a mis tout notre cœur pour faire un fondant au chocolat, qui est trop cuit, tout dur, et qui a dégagé une vielle odeur de cramé dans le four, et en plus un connard arrive avec ses verrines de tiramisu matcha/azuki et sauve la situation. On sait qu'on a un bon fond, mais on se sent un peu merdique quand même. C'est ce côté là qui nous rapproche de Gaston.


Avec ce genre de héros mixte, on en revient (comme au début de ce post) à des personnages plus forts que nous, plus imaginatifs, avec des vies bigger-louder, mais des défauts qui nous les rendent proches, qui favorisent notre identification.


Voilà ce qu'on a envie de faire à Astérix et Gaston, les serrer bien fort dans nos bras, parce qu'ils ont l'air d'être de chouettes copains, aussi boulets et aussi gentils que nous.

ET LES MÉCHANTS ALORS ?

Ouhlà !

Ouhlàlàlàlà !


On verra ça la semaine prochaine.

5 commentaires:

  1. Le zouave est encore vivant, alléluia !!!

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    1. c'est clair, ça fait super plaisir !

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    2. Je me suis dis que ne plus rien écrire et laisser pourrir son blog c'était trop mainstream. Il fallait que je réalise un acte fort de bobo-hipster. Après tout, en 2018, tenir un blog, c'est comme porter une veste en tweed : c'est faire un truc de vieux pour montrer qu'on est différent.

      Ceci dit, petite concession à l'époque. On m'a dit : "je sais que tu n'as pas envie, mais personne n'a envie, tout le monde se force, un petit effort". Alors j'ai ouvert un compte tweeter, twiteur, twitter, un truc comme ça.

      Merci beaucoup pour cette liesse populaire en tout cas, ça fait bien plaisir.

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  2. Je confirme, de temps en temps je relis quelques uns de vos articles, et là vous m'avez manqué !

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    1. Ha mais c'est super technique un blog ! 'Faut savoir faire naître le désir !

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