Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


vendredi 14 septembre 2018

La bande dessinée est géométrique.

Parfois, certains dessinateurs ont envie de revenir aux basiques. Et les basiques, ce sont les formes. Les carrés, les triangles, les ronds, tout ça...

Jeremy Perrodeau, Crépuscule, éditions 2024.

CES FORMES ONT DEUX AVANTAGES.

PREMIÈREMENT : C'EST LUDIQUE.

C'est à partir de ces formes simples que nous jouions aux jeux de construction quand nous étions petits. Que ce soit avec des légos, des clippos, des bouts de bois, ils sont tous calqués sur le même modèle : des cylindres, des carrés, des pyramides, on les assemble entre eux et on obtient des maisons, des animaux, des vaisseaux spatiaux. L'assemblage de formes basiques permet de s'abstraire de la technique (qu'on a pas étant petit) tout en offrant toutes les possibilités pour laisser libre court à son imagination.

Comme un immense légo sans le plan de montage (bonne chance pour arriver à le monter).

Plus tard, on achètera des méthodes de dessin cheapos pour essayer de dessiner San Goku aussi bien que celui de la télé, et ce sera une méthode basée sur la même idée : on décompose le corps en tubes, en boules, en carrés, et puis ensuite on rajoute des fioritures (les sourcils froncés qui font le mec concerné par l'issu du combat qui va décider du sort de la ville/du pays/de la planète/de la galaxie/de l'univers entier/de tous les univers parallèles/etc) (et les cheveux blonds dressés sur la tête) (très important) (et très difficile) (parce que le truc facile, c'est de décomposer en formes géométriques ; le truc compliqué, ce sont les fioritures).

Ce que j'essaye d'expliquer, c'est que, débarrassé de l'impératif de faire un truc qui ressemble à quelque chose d'existant (San Goku), débarrassé de l'obligation de rendre ça crédible et détaillé (rajouter les sourcils et les cheveux), il ne reste que l’essentiel : le plaisir de l'imagination, la création pure, le dessin pur, sans rime, ni raison, ni objectifs.

On voit bien dans cette page que c'est pas son truc, les fioriture, à Perrodeau.
Ni dans les visages (qui ont zéro expression), ni dans les décors (qui sont des assemblages grossiers de carrés et de ronds).

Le dessinateur est libéré de contraintes qui peuvent parfois détourner de l'objectif initial (créer) (en toute liberté) (au milieu des petits oiseaux) (et des milk-shakes à la fraise). Le lecteur, de son côté, est fasciné par les possibilités infinies de formes aussi simples. Un plaisir enfantin, quoi (je vais pas aller jusqu'à dire qu'on régresse tous au stade anal, mais presque).

« On a qu'à dire que la boîte à chaussure, c'est un avion. »
« Et pis le rouleau de papier toilette aussi. »
« Attends, je lui rajoute une bande de papier pour faire les ailes. »
« Trop cool. »

DEUXIÈMEMENT : C'EST DESIGN.

On s'aperçoit très vite que, en fait, juste représenter des formes, c'est un but artistique valable. C'est cool, les formes. C'est reposant. C'est feng-shui. C'est épuré. Voilà, c'est le mot : épuré. On a viré toutes les conneries autour et il reste la forme pure, et la façon d’agencer ces différentes formes pures pour créer une composition équilibrée. Ou trouver le bon angle, le bon cadrage pour représenter et valoriser ces formes. Ou réfléchir à l'espace autour des formes pour les mettre en valeur (faut un peu de vide (la forme est mise en avant, on lui laisse la place qu'elle mérite (comme un leader charismatique qu'on met sur une estrade pour qu'il puisse faire son discours)), mais pas trop non plus (la forme est minorée, écrasée par des espaces trop grands pour elle (comme un leader charismatique qu'on met sur une estrade pour qu'il puisse faire son discours mais on s’aperçoit qu'en face de lui il y a une grande place toute vide avec quatre pélos et que personne n'en a rien à faire de lui)).

Perrodeau, lui, en bon auteur de bande dessinée, travaille non seulement sur la composition des images 
(les personnages sont un peu toujours représentés de la même manière : petit, en plongée, de trois-quart), 
mais également sur leur rythme 
(il alterne les cases avec des personnages et les cases avec juste des formes géométriques chelous).

Bref, là encore, la forme pure permet de revenir aux basiques sur la composition, le cadre, l'angle, la mise en valeur, le dessin, quoi) sans se prendre la tête avec ce qui devrait rester anecdotique.

GESTION DES FORMES.

Chez Perrodeau, les formes géométriques arrivent par petites touches.

D'abord, elles sont homogènes avec l'univers décrit. Ce sont des vaisseaux spatiaux tubulaires ou en boule, des objets cubiques, des formes simples qu'on pourrait croire désignées par un créateur norvégien très au courant de la mode actuelle. Alors on n'y fait pas trop gaffe.

Le design, une bonne excuse pour cacher qu'on est en fait en mode feignasse.

Il y a une ambiance, comme ça, d'épure, qui colle avec différents choix artistiques (très peu représenter les visages, cadrer les personnages de loin, opter pour un dessin assez sobre, sans fioritures (des costumes de spationautes plutôt que des robes à froufrou (quand il aura à représenter des indigènes, ils seront en slip, ce sera encore plus simple), des pièces assez vides et bien rangées, des objets apparemment simples (on appuie sur un bouton et ça fonctionne).

 
Les différents vaisseaux spatiaux sont eux-mêmes soit des boules soit des carrés. On peut faire difficilement plus zen.

ÉPURÉ, ON VOUS DIT.

Et puis ses formes simples apparaissent tout d'un coup dans la nature. Des disques dans les arbres. Des cubes dans les herbes. Là, comme c'est hétérogène avec ce qui était décrit avant, on le remarque, on se dit que comme ce n'est pas à sa place, que ça ne devrait pas être là. Du coup on scrute ces formes pour essayer de voir s'il n'y aurait pas par hasard un sens caché à tout ça. Une répétition de forme. Une construction plus large cachée. Une organisation, quoi. Quelqu'un qui aurait mis tout ça exprès. Mais non. On dirait bien que ces formes apparaissent de manière anarchique.


Bref, c'est mal rangé.

Du coup, par cette méthode de foutre des trucs là où ils ne devraient pas être, Perrodeau fait en sorte que 1°) on regarde ces objets plus attentivement, comme des objets en soit, et plus comme des pièces de mobiliers ou des objets techniques qui pourraient se fondre dans le décor ; 2°) on comprend que ces objets ne sont pas là pour être utiles, les personnages ne vont pas s'en servir, ou les assembler, ou je sais pas quoi ; ils sont là en tant que formes géométriques, et c'est tout. Comme des sculptures minimalistes posées dans la nature.

Comme une immense biennale d'art contemporain paumé dans la cambrousse, quelque part dans le Tarn.

PUIS ÇA SE COMPLIQUE.

Ces formes vont se complexifier, se combiner, pour former des objets (plutôt des sculptures) toujours sans aucun propos, mais quand même de plus en plus compliqués.

Après le côté beau, design et pur des objets simples mis en valeur dans la forêt, on retombe sur le côté ludique de l'assemblage de ces formes simples pour en faire des constructions libres. On se retrouve comme un gosse de 4 ans avec un immense tas de légos. Enfin, plus précisément, Jeremy Perrodeau se retrouve comme un gosse de quatre ans avec un immense tas de légos, et nous on serait un peu ses parents, émerveillés de tout ce qu'il arrive à faire avec si peu.

Là encore, ce qui compte c'est que, puisque les formes simples du départ n'avaient ni rimes ni raisons, aucune justification (leurs apparitions sont, dans le récit même, un mystère), les formes complexes restent sur cette même ligne : elles ne sont là que pour le fun de la représentation, pour la beauté des formes. Elles ne nécessitent aucune justification ni narrative ni intellectuelle. La seule justification qu'on pourrait donner, c'est : parce qu'elles le valent bien.


ÉQUILIBRE.

Jeremy Perrodeau trouve ainsi un équilibre entre représentation nécessaire à la narration et beauté des formes pures ; personnages et décors classiques, mais suffisamment épurés pour qu'ils se marient harmonieusement avec ces fameuses formes ; contemplation de l'apsct plastique général de son dessin, et alternance de rythmes ou de sujets pour garder le lecteur captif de sa lecture.

Bref, Jeremy Perrodeau réussit un peu tout.

dimanche 5 août 2018

La bande dessinée au plus proche de son personnage.

Je dis pas... Avoir une bonne structure scénaristique, c'est important. Et c'est pas donné à tout le monde. Une histoire qui porte, qui donne envie de connaître la suite. Une histoire logique, dont les différents éléments semblent inéluctables. Une histoire surprenante, mais qui reste cohérente. Une histoire cool, avec des enjeux clairs.

Tout ça, c'est hyper important.

MAIS !

On peut avoir une sacrée bonne histoire, et que tout tombe à plat, si on ne soigne pas ses personnages, ce qu'ils pensent, ce qu'ils sont, ce qu'ils ressentent.

Et si ! Ce qui compte, c'est le petit coeur sensible des personnages !

Et il ne s'agit pas simplement d'expliquer au lecteur ce que ressent le personnage. Ça, bon, à la rigueur, c'est jouable. (Pourquoi tous ces films de super-héros sont-ils si bavards ? Parce qu’ils passent leur temps à expliquer ce qu'ils ressentent, et que papa il t'aimait plus que moi, et que personne ne m'a jamais fait confiance, et que c'est ma fille alors je ferais tout pour elle tu comprends, ce ne sont plus des films de super-héros, ce sont les mystères de l'amour sur TMC (j'ai un peu de temps à tuer le samedi matin).)

Dans Pereira prétend, de Pierre-Henry Gomont (d'après le roman de Antonio Tabucchi), ça part super mal, 
il y a des narratifs partout, qui explique tout. On se dit qu'on va se retrouver devant une énième adaptation de roman ratée.

UN DISCOURS NE SUFFIT PAS.

On se retrouve devant un gars qui cause et on se dit : oui, je comprends. C'est un raisonnement. C'est objectif, froid, méthodique. Je suis pas plus débile qu'un autre, je comprends ce raisonnement. Je peux en déduire vaguement ce que tu dois ressentir. Je rentre en empathie avec toi. Voilà. Ça me rend 100 fois supérieur à n'importe quel député votant pour inscrire le délit de solidarité dans la loi, 1000 fois supérieur à Gérard Collomb. Est-ce que ça m'a vraiment touché ? Pas vraiment. C'est resté une démarche intellectuelle. Une argumentation. Un discours.

Du coup, on suit les aventure du personnage principal de manière hyper-distanciée 
(d'autant que ce qu'il fait, au début, et pas hyper passionnant non plus). Bref, ce gars n'a pas grand chose pour lui.

DISCOURS = AUTISME (OU NAZISME, COMME VOUS VOULEZ) (JE RESTE NUANCÉ DANS MES ARGUMENTAIRES).

On ne s'implique pas. Pire, on acquiert une sorte de regard distancié, on voit les choses de loin, on les analyse, on les dissèque, on regarde limite si le produit est bien fait, si les éléments sont pertinents. Et peut être qu'ils le sont. (Ceci dit, on remarquera quand même plus facilement les défauts, à cause de ce regard extérieur et froid.) Et à aucun moment on ne fera autre chose qu'une analyse. Une analyse qui conviendra peut être que le produit est drôlement bien fichu et bien exécuté. Mais une simple analyse.

En fait, cette construction est là pour refléter l'état d'esprit du personnage, qui, lui aussi, regarde ce qui se passe dans son pays (la dictature). En fait, on est aussi intéressé par la vie du personnage que le personnage lui-même. C'est à dire, pas beaucoup.

La différence entre le discours et l'implication, c'est un peu comme suivre un reportage à la télé, et puis vivre l’événement réellement. C'est cette impression de réalité qui manque au discours.

On ne se sentira pas concerné, emporté, vivant par procuration des actions inimaginables. On ne sera pas impliqué.

POURQUOI EST-CE SI IMPORTANT ?

Parce que sans personnage dont on a quelque chose à foutre, tout s'écroule.

Déjà, à la base, pourquoi on voudrait lire une histoire, connaître la suite d'une histoire, connaître sa fin, si on se désintéresse complètement du personnage ? Ce qui est important dans une histoire, est finalement assez basique : comment le personnage va-t-il faire pour s'en sortir (et, déjà, va-t-il s'en sortir) ? Ça peut être : comment va-t-il s'en sortir pour survivre à cette immeuble en flamme (il fait le 18), à cette rupture amoureuse complexe (il va  voir un psy et réalise que tout est de la faute de sa mère), au fait qu'il n'y a plus d’œufs dans le frigo et qu'on est un dimanche (il est foutu). N'importe quoi. Mais il faut s'intéresser à son sort.

Petit à petit, on va rentrer dans la tête du personnage, par tout un tas de méthodes non-écrites 
(des bulles de pensées avec des dessins, des petits personnages qui représentent sa psyché, des dialogues imaginaires).

(Nous allons détailler ça plus bas.)

Si on reste dans une forme de discours qui nous explique sans cesse ce qui se passe et dans lequel le personnage apparaît comme un simple artifice, un simple support au discours, juste le mec qui cause pour que le scénariste puisse nous dire ce qu'il y a à dire, alors on se désintéresse de son sort. Ce qui devient important, c'est le discours en lui-même, le scénario en lui-même, sa technicité, la manière d'amener et de mettre en relief un sujet, les retournements de situations. Bon, ok, pourquoi pas. Mais on dirait que le lecteur se transforme en critique d'art conceptuel. Et c'est à peu près ça. L'idée prévaut. Mais son implication émotionnelle, sa réalité matérielle, l’irrationalité qui peut en jaillir, sont totalement évacuées. Parce que ce sont des notions portées par les personnages.

Un récit est (presque) toujours un premier déséquilibre donné à un personnage et, ensuite, le suivi de la chaîne des réactions entraînées par ce premier déséquilibre. Si le personnage est inexistant ou inintéressant, toute la logique de l'histoire, les actions et réactions du personnages, nous paraîtront vaines ou idiotes ou simplement relou. C'est à dire que tout s'effondre.

Dans ce bouquin, on a un basculement très net, très facile à voir, puisqu'il n'y a aucun dessin dedans.

Et c'est le même bazar pour tous les aspects, toutes les strates du scénario.

COMMENT IMPLIQUER ?

Il y a différentes méthodes.

FAIRE COMPRENDRE LA RÉALITÉ INTELLECTUELLE DES CHOSES.

Dans ce cas les auteurs essayent d'aider le lecteur à comprendre ce que pensent et ce qui motive les personnages sans que cela soit jamais explicite.

En s'aidant de dialogues imaginaires avec une photo plutôt que d'une description par narratifs bien patauds, l'auteur garde un certain flou dans tout le pataquès. On comprend que sa femme est morte, on comprend qu'il ne s'en est pas remis, 
mais ce n'est jamais écrit noir sur blanc. Alors que c'est ce qui est important (plutôt que le dialogue en lui-même).

On connait différents éléments liés à ce personnage, on arrive à relier les points entre eux, et on comprend. On n'est pas devant un type qui nous explique la situation. On est dans la tête du type, en train de suivre les mêmes mécaniques intellectuelles que lui. On est lui. On se projette dans l'histoire. Le scénario passe d'objet théorique à analyser à canevas sur lequel on se projette soi-même, dans lequel on vit. L'oeuvre d'art acquiert une sorte de réalité concrète en ne montrant plus un schéma sur tableau noir qui explique ce que pense le personnage mais directement ces fameuses pensées.

Même chose ici : l'important, pour le personnage, est dans sa tête. Pas ce qui est explicite.

Cette méthode apporte une certaine dynamique à la lecture, puisqu'au fur et à mesure que les différents éléments constituant un personnage nous sont donnés, c'est à nous de déduire, de relire sous un autre angle des actions passées, de construire, de déconstruire. Tout ne nous est pas donné pré-mâché. Il faut rester en alerte. Tout ne nous est pas expliqué. Mais tout nous est montré. À nous de faire le boulot ensuite.



Du coup, par la suite, quand on voit ce genre de cases, muettes, on comprend tout, tout de suite.
Le livre arrive peu à peut à s'abstraire des écrits et des représentations explicites pour nous laisser interpréter librement.

(On voit bien le piège : à force de vouloir que rien ne soit jamais vraiment explicite, certains scénarios tombent dans l'excès inverse, qui est que tout devient flou, et qu'on ne comprend juste plus rien à rien.)

FAIRE COMPRENDRE LA RÉALITÉ MATÉRIELLE DES CHOSES.

Un autre parti pris pour aider le lecteur à comprendre ce que pense et ce qui motive les personnages est de se la jouer basique en essayant de montrer au lecteur ce que font les personnages.

En général, faire quelque chose (réparer une voiture, écrire un programme informatique, construire un bateau pirate Légo), c'est long, minutieux, compliqué, et chiant. C'est pour ça que la plupart des récits ne le montre pas et font de grosses ellipses (encore plus en bande dessinée, où on fait de l'ellipse sans même plus s'en rendre compte).

Mais, justement, faire ce genre d'ellipse, c'est faire le jeu du récit qui se cantonne à un discours qui explique ce qu'il se passe sans jamais vraiment montrer la réalité de ce qui se passe, comment ça se passe, qu'est-ce que ça fait de vivre ce qu'il se passe.




On reste dans un point de vue très psychologique. Les seules scènes vraiment longues dans le livre sont celles dédiées 
à des moments de révélation du personnage à lui-même, dans lesquelles on voit le raisonnement du personnage en direct.

Donc, à contrario, certain récits (long) (parfois très long) (parfois trop longs) (parfois chiants comme la mort) font le choix de montrer les actions des personnages dans le détail. Ça peut être d'ailleurs des actions pures ou bien aussi des discours, des dialogues. En général, un scénariste synthétise les dialogues de ses personnages, des dialogues qui auraient pris des heures dans la vraie vie, entre trucs inintéressants, digressions, silences, y-a-plus-de-bières-je-descend-en-chercher, etc. (dans la vraie vie, les discours politiques durent des heures, au cinéma, ça prend cinq minutes, y a que des punch-lines, et tout le monde comprend tout). Mais pour montrer la réalité d'une situation, on peut se retrouver dans certaines bandes dessinées avec des papotage sur plus de dix pages, juste pour donner l'impression de subir vivre réellement cette scène. Ou qu'on passe dix autre pages à nous montrer comment construire une arme / un outil / un jouet à partir de rien ou pas grand chose.

(Par contre, faut quand même réussir à équilibrer entre parties chiantes et partie où l'histoire avance, sinon on aura tendance à vouloir apprendre à son livre comment voler par la fenêtre.)




De la même manière, la scène la plus longue du bouquin est celle ou le personnage bascule, 
parce que l'auteur a besoin de cette longueur pour crédibiliser, rendre tangible cette fameuse bascule.

FAIRE N'IMPORTE QUOI (LA RÉALITÉ PSYCHANALYTIQUE DES CHOSES).

Autre école, celle dites des auteurs russes du XIX° siècle avec des gars qui boivent, jouent, transpirent et réfléchissent trop : jouer le coup de l'inattendu. De la pulsion.

Dans ce cas là, il faut perdre le lecteur. Le surprendre. Il était sur des rails, en train de comprendre assez clairement à quel type de récit, quel type de personnage il avait affaire. Et puis, paf, pif, pouf, un truc totalement inattendu se produit. Un truc inexplicable. Un truc invraisemblable (chez les russes, c'est toujours un truc du style mourir d'amour, se suicider de joie, jouir du malheur, enfin, vous voyez le genre, le genre oxymore vicieuse). Que même le personnage ne comprend pas, et qu'il va mettre le reste du récit à essayer de comprendre.



Donc, là, on est vraiment chez les russes. Le mec marche, il fait chaud, et boum ! crise d'angoisse (signifiante) 
(quoique, chez les russes, en général, c'est plutôt épilepsie).

Les deux (personnage et lecteur) sont dans le même bateau. Ils sont confrontés à un truc imbitable, qu'il va falloir biter. Et le truc à biter c'est que des tas de choses nous échappent et sont hors de notre contrôle. Ça descend le personnage de son piédestal pour le mettre à la même hauteur que le lecteur. Ça le rend sympa, quoi. Et puis ça casse les pures logiques de récit, de structure, de trucs en trois tiers, d'épreuves qui endurcissent le héros pour lui mettre du plomb dans la tête et lui permettre de triompher à la fin. Non. Des fois, ça ne se passe pas comme prévu, et tout divague, et on comprend plus rien.

Les structures, les discours apparaissent alors pour ce qu'elles sont : des tentatives d'organisations pour essayer de rationaliser le bordel ambiant.

Des petites pauses oniriques, dans le bouquin, montrent justement le bordel dans la tête du personnage, un bordel incoercible. 
(D'où la crise d'angoisse.)

Des tentatives pour construire un discours qui expliquerait ce qui se passe. Un discours qui vole en éclat quand il est confronté à la réalité concrète de ce qu'est un personnage.

Une rationalisation que le personnage va littéralement envoyer se faire voir ailleurs, 
pour pouvoir mieux devenir ce qu'il est vraiment.

DONC, SI ON RÉSUME.

L'auteur a adapté un roman. Ok, classique. Mais il a utilisé le texte de ce roman contre son personnage, pour nous expliquer qu'il était coupé de la réalité matérielle des choses. Puis il a utilisé différents outils typiquement de bande dessinée (bulles de pensées, jeu entre ellipse et pas ellipse, représentation en dessin de l'imagination du personnage) pour faire petit à petit revenir ce personnage à la vie.


Ça, c'est ce qui s'appelle de l'adaptation osée et réussie !

jeudi 28 juin 2018

Bien au contraire, ça a tout à voir...

Aujourd'hui pas de critique compliquée à l'explication aléatoire et trop longue. 

À la place, une question.

En tant que lecteur, seriez-vous prêt à payer vos livres 10% de plus s'il s'agissait de tout reverser aux auteurs (et accessoirement de leur sortir la tète de l'eau) (oui, non, parce que je sais pas si vous savez : ça va pas fort) ?

BON, C'EST QUAND MÊME PAS GAGNÉ.

J'ai  hésité longtemps avant de publier ce truc, parce que, bon, hein, bon ; je peux pas dire que mon rayonnement politique international soit à son maximum en ce moment, et pour qui je me prends, et de toute façon personne n'en aura rien à faire, et patati, et patata.

Mais bon... Avec toutes ces histoires d'auteurs en train de mourir pour leur art, moi, j'ai une idée à proposer. C'est à dire que je sais pas si vous vous rendez compte, mais j'ai eu une idée. Ça arrive pas tous les jours ce genre de truc (ni toutes les années). Alors, bon, je me suis chauffé, et je l'ai décrite ci-dessous.

FRANCHEMENT, JE VOIS PAS COMMENT ÇA POURRAIT RATER.

C'est mon blog, je fais ce que je veux.

L'IDÉE.


(Cet article sera illustré par Calvin et Hobbes, parce que comme ça il aura au moins cet intérêt.)

On augmente le prix des bandes dessinées de 10 %. Tout est à la charge du lecteur. 

(Je sais, ça fait mal.)


COMMENT ?

Ce surcoût est appliqué sur TOUTES les bande dessinées publiées dans l’année (nouvelles sorties, réassorts, publications patrimoniales, auteurs vivants, auteurs morts, comics, manga, etc.).

POURQUOI ?

L’argent de ce surcoût va à un fond, qui redistribuera ensuite l'ensemble de l'argent collecté aux auteurs de bande dessinée.

Il n’ira JAMAIS à aucun autre acteur de la chaîne du livre.



POURQUOI ÇA TOMBE SUR LE LECTEUR ?

L'ensemble de la chaîne du livre s'est peu à peu désengagée du sort des auteurs. Les éditeurs et distributeurs sont tenus par leurs actionnaires à faire uniquement du profit. Les libraires sont dans un stress permanent face au pouvoir d'amazon ou du livre numérique qui les empêche de se projeter à moyen terme. Les collectivités et les festivals restent enkystés dans l'idée qu'inviter des auteurs pour qu'ils bossent gratuitement leur donnera de l'exposition et de la publicité. 

Les seuls, semblent-ils, à avoir encore quelque chose à faire des auteurs, ce sont les lecteurs. À cause de ce dialogue silencieux qui s'installe toujours entre ces deux parties, et dont tous les autres membres de la chaîne du livre ne sont que des intermédiaires.



Dans l'absolu, ce ne devrait pas être au lecteur à payer. Lui aussi il a du mal à boucler les fins de mois. Il faudrait un pouvoir politique fort qui impose à la chaîne du livre de respecter ceux qui la génèrent. 

C'est le même problème qu'avec les agriculteurs. Vous avez vu ce qui se passe avec les agriculteurs ? Rien. Ils sont bien plus nombreux, bien plus puissants, et génèrent un chiffre d'affaire bien plus important. Et rien ne bouge. Parce que les politiques ont choisi leur camp. Vous imaginez ce qu'ils pensent du sort de quelque milliers de saltimbanques mal dégrossis ?


Il reste les lecteurs.


Qui sont bien les seuls à s'être montrés un tant soit peu intéressés par le sort des auteurs qui se battent pour ne pas crever.

Qui, par leurs achats, pourraient contribuer à un fond qui servirait directement les intérêt des auteurs et de leurs créations (comme une sorte de compte tipeee généralisé).

UN PEU DE MATHS.


Il y avait environ 4000 créations originales en France en 2017 (2000 franco-belges, 1500 manga, 500 comics) (en très grossier).

On évalue à environ 500 millions d’euros le chiffre d’affaire de la bande dessinée en France. Les 10 % du fond de redistribution servent donc à dégager 50 millions d’euros.

Si on fait un rapide calcul, et qu’on veut répartir égalitairement l’ensemble du fond, on obtient 12 500 euros à donner pour chacune des 4000 créations de l’année. 

Avec ce fond, on pourrait payer 12 500 euros par livre créé

Ce n’est pas même un SMIC, ce n’est pas suffisant (surtout s’il y a plusieurs auteurs sur le même livre), mais disons que c’est déjà mieux que rien.

VARIANTE « CRÉATEUR ».


On peut également construire une version « une part pour chaque auteur ayant créé dans l'année, peu importe le nombre de livres qu'il a publié ». Ce qui favoriserait les auteurs particulièrement précaires, mais défavoriserait les scénaristes et Bastien Vivès.

VARIANTE « CRÉATEUR EUROPÉEN ».

On peut également se dire que le fond ne sert qu’à payer les créateurs français (ou franco-belges) (ou européen), un peu sur le même modèle de financement du cinéma français (une part de n’importe quel ticket de cinéma vendu sur le territoire français sert à alimenter un fond qui finance exclusivement le cinéma français). 

En évaluant à environ 1500 le nombre d’auteurs « francophones européens » ayant publié en 2016, on obtient une redistribution de 33 000 euros à chaque créateur.


Si on réduit la part du surcoût du fond de redistribution à 5 % du prix du livre, on peut encore redistribuer 16 500 euros à chaque créateur. 

(Grosso modo, de toute façon, qu'elle que soit les variantes proposées, mon idée, c'est que le CNL (Centre National du Livre) devienne un nouveau CNC (Centre national du Cinéma et de l'image animée, qui a quand même plus de prérogatives que son collègue).) (Je me suis pas foulé.)

ATTENTION, CE NE SONT QUE DES APPROXIMATIONS.

Par exemple, cette appellation « d’auteurs » ne recouvre pas les coloristes, et il est bien sûr hors de question de les oublier sur le bord du chemin.

ET PUIS, POINT TROP N'EN FAUT QUAND MÊME.

Il faudrait sans doute introduire une sorte de « clause de surface dessinée » pour que les ouvrages très petits (et plausiblement plus rapidse à concevoir) ne soient pas ou moins pris en compte (genre : si le livre publié fait moins de 10 pages A6, et qu'il est publié à 100 exemplaires, il n'a pas droit au fond).

(Enfin, bon, tout ça pour dire que je fais des approximations dans les calculs pour rendre ça plus clair et moins wibbly wobbly. J'essaye de simplifier.)


FRÈRES DE TOUS PAYS, UNISSONS-NOUS.

Pour ma part, je suis plus enclin à favoriser un système qui ne tient pas compte de la nationalité des auteurs (juste pour voir la tête de Eiichiro Oda qui se demandera qu'est-ce que c'est que ce fond qui lui envoie douze mille balles au lieu des milliards qu'il brasse habituellement dans chaque pays)

J’encouragerai donc une formule « 12 500 euros par livre créé »

LA PART SUPPLÉMENTAIRE DES AUTEURS (ALIAS : UNE REFORME NI DE GAUCHE NI DE DROITE).

Ne pas oublier que la part du fond de redistribution est un surcoût imputé aux lecteurs-acheteurs-mécènes.

Le reste de la construction du prix du livre reste donc inchangée. Et notamment la part actuelle sur les ventes qui est donnée aux auteurs (les droits d'auteurs) (de 6 à 10 % du prix global du livre, quand l'éditeur est bien luné).

Ainsi, à chaque livre vendu, un auteur gagne un peu d’argent. Si le livre se vend à 1000 exemplaires, qu’il a un prix d’achat de 20 euros, et que la part des auteurs est de 10 %, les auteurs du livre gagneront 2000 euros. Si ce même livre se vend à 100 000 exemplaires, les auteurs gagneront 200 000 euros et achèteront une maison au bord de la mer.



Les auteurs qui vendent beaucoup ne sont pas pénalisés par ce système, tout en contribuant solidairement au fond de redistribution.

DEUX SLOGANS POUR QUE CELA SOIT BIEN CLAIR.


La part du fond de redistribution est utilisée pour récompenser la création.

La part due à l’auteur sur les ventes est utilisée pour récompenser le succès.

LES AVANCES SUR DROITS.

(Les avances sur droits sont une somme payée par l'éditeur aux auteurs avant le début de leur travail de création, pour leur donner les moyens de créer sans problèmes financiers (en théorie) (en pratique, la somme avancée est trop faible, et va en s'amenuisant ces dernières années).) (Une fois le livre mis en vente, ces avances sont remboursées par les auteurs via les droits d'auteurs eux-mêmes.) 


(Suivant mon exemple précédent, si l'éditeur a avancé 4000 euros aux auteurs, que le livre se vend à 1000 exemplaires, qu’il a un prix d’achat de 20 euros, et que la part des auteurs est de 10 %, l'éditeur aura payé 4000 euros aux auteurs, qui lui en auront remboursé 2000. L'éditeur perd 2000 euros (sur l'avance sur droit) (mais en gagne quand même plein par ailleurs dans les autres secteurs de la chaîne). Les auteurs ne perçoivent rien d'autre que leurs avances sur droit.) 


À mon sens, si on arrive à mettre en place un fond de redistribution, le système des avances sur droits, si malmené ces dernières années, peut être supprimé. 


Les auteurs renoncent à une quelconque avance, sont payés à la création du livre par le fond de redistribution, puis payés à la publication du livre par l'éditeur, en encaissant directement leurs parts de droits d'auteurs sur les ventes des livres (sans avoir à rembourser les avances, puisqu'ils n'y en a plus). Chaque vente de livre devient un bénéfice.


AVANTAGE :

Plus besoin de mendier une avance à un éditeur.

INCONVÉNIENT :

Les éditeurs vont en profiter pour rogner sur la part des recettes en disant « vous n'avez plus besoin de cet argent, vous avez déjà le fond de redistribution qui vous paye ». Il faudrait donc déterminer/bloquer/imposer une part minimum de droits d'auteurs. Genre 7,5 %. En espérant que les éditeurs respectent plus ou moins ça.


(Les auteurs puissants, qui vendent beaucoup, peuvent bien sûr établir des contrats différents, avec de grosses avances, qu'ils sont sûrs de rembourser.)

LE NERF DE LA GUERRE.

Reste ce fameux surcoût de 10 % pour alimenter le fond de redistribution.

10 % sur le prix d’un livre à la charge du lecteur.

2 euros de plus sur un bouquin qui en coûtait 20. Deux pains au chocolat qu'on ne pourra pas se payer parce qu'on a acheté un livre.

Est-ce que les lecteurs seraient prêts à un tel investissement ? Pour essayer de sauver les auteurs et les livres ?


J'ai écrit tout ceci pour poser cette question. 

Quelle serait votre réponse ?