Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 15 septembre 2016

La bande dessinée a le rythme syncopé.

Goscinny, Uderzo, Charlier, Giraud, Pratt, Trondheim, Franquin nous montrent tous en cœur qu'il faut savoir aller à son rythme.


BLIND TEST !

Essayez donc de savoir à qui est le rythme de qui.

(Je rappelle, que, conformément au post précédent, en rouge, c'est un solo de batterie censé mettre en évidence le rythme de la bande dessinée étudiée.) (Il faut donc juste retrouver le rythme de chaque page de bande dessinée.) (C'est pas très compliqué quand même.) (Et ça vous entraînera à scroller.)

Page A.

Page B.

Page C.

Page D.

Page 1.

Page 2.

Page 3.
Page 4.

Alors ? Qui est qui ?

RÉPONSE :

(En blanc sur blanc.) (Il faut passer la souris dessus pour pouvoir lire les réponses.) (Oui je suis un vrai geek.) (Linus Torvald, me voilà.) (Donc faut passer la souris juste là, en dessous.)

A-4 ; B-3 ; C-2 ; D-1

BRAVO, JE SUIS SÛR QUE VOUS AVEZ TOUT TROUVÉ. VOUS ÊTES DÉCIDÉMENT INCROYABLE.






Si nous revenions un petit peu sur ces différentes pages ?

D'ABORD ASTÉRIX.

Ça fait, genre, quoi ? Deux mois que je n'avais plus parlé d'Astérix. Il fallait donc corriger cet oubli fâcheux.

Ils sont cons, ces romains.

C'est Astérix qui a la mécanique la plus pure. C'est pas étonnant vu que Goscinny et Uderzo sont des génies de la plus belle eau à côté de qui Rembrandt et Hugo passent pour des bras cassés.

La page est organisée de manière très simple en réaction-action-réaction-action-réaction plus forte-action plus forte-réaction encore plus forte-arbre dans la tronche.

C'est génial d'un point de vue scénaristique, parce que ce sont les personnages qui guident la scène, et pas les faits. Les personnages réagissent à une donnée de base (leur rencontre) puis cette réaction en amène une autre, etc... Au final, c'est la naïveté benoîte d'Obélix, le pragmatisme amical d'Astérix et la fierté du romain qui font avancer la scène. La scène existe pour et par les personnages, qu'elle décrit  de manière attachante et précise.

C'est génial du point de vue de la mécanique, parce que les actions-réactions rythment la page de manière régulière et en crescendo. Le lecteur est porté par ce rythme qui le fait avancer dans sa lecture, fait monter la sauce, et explose dans la dernière case gag.

Bref, comme d'hab, les deux compères mettent tout le monde à l'amende. Et peuvent inspirer certains successeurs.


Un rythme plus complexe, qui joue sur plus de protagonistes, mais toujours organisé en actions-réactions, pour mettre le personnage principal au centre du dispositif scénaristique.

LE SECRET EST LA !

Dans les réactions des personnages.

Elles permettent de décrire ceux-ci sans avoir l'air d'y toucher (Obélix gentiment con-con, le romain fier mais qui doute de lui), et de se rapprocher d'eux. Peu importe que les sentiments qu'ils expriment soient nobles ou vils, dès qu'ils vont en exprimer, on va se sentir en empathie pour eux, on va s'en rapprocher, on va les apprécier, on va vouloir en savoir plus sur eux.

Le personnage du chat s'en va sans rien faire : il a notre mépris. Le personnage du canard reste, agit et réagit : il a toute notre attention. (Dans tous les sens du terme, en plus !)

Elles permettent de faire avancer l'action sans intervention extérieure balourde du scénariste pour faire avancer la machine. C'est le personnage qui relance la machine tout seul comme un grand.

MAIS PLUS IMPORTANT !

Ces réactions donnent le rythme de la bande dessinée, qui porte inconsciemment le lecteur et donne l'âme générale d'un récit.

Chez Richard thompson, cette âme est le free jazz, le vent de liberté.

Et chez Franquin, elle est comment cette âme ?






Franquin : l'art de prendre des tas de trucs dans la gueule (des poissons, du café, des balles magiques, tout, du moment que ça fait mal).

Franquin reste dans la même mécanique : une action (un chat arrive), une réaction (un personnage par terre). Seulement, les seuls à agir ou réagir sont Gaston et ses alliés (les animaux) et les seuls à prendre cher dans leurs gueules sont Prunelle et ses semblables (tous les membres du journal).

Le rythme est le même que dans Astérix, mais le résultat est complètement différent sur l'attachement aux personnages, puisqu'il n'y en a qu'un qui agit-réagit, et c'est Gaston. C'est lui le héros. Les autres ne sont que des sparring-partners. C'est lui qui construit des Gaffophones (les autres, ça leur fait mal aux oreilles) et des labyrinthes dans les archives du journal (les autres se contentent de s'y perdre).

Le leitmotiv de l'action-réaction est utilisée de la même manière par Franquin pour rythmer sa page de bande dessinée, faire avancer les choses, et mettre le lecteur en empathie. Mais il y a ajouté ça petite touche personnelle : un gros bordel destructif qui secoue tout ce qui peut être un tant soit peu ordonné.

Richard Thompson fait du free jazz.

Franquin fait du libertaire jazz. (Jeu de mot.) (Parce que free, en anglais, ça veut dire libre.) (Et après, je passe de libre à libertaire.) (Ha ha.) (Nan, mais, j'explique.)

ET TOUS LES AUTEURS (INTÉRESSANTS) FONT UN PEU CA DE LA MÊME FAÇON.

Ils prennent la structure action-réaction. Et ils rajoutent leur touche personnelle.

CHEZ CORTO MALTESE, PAR EXEMPLE, PAS DE SURPRISE, IL FAIT DES PAUSES POUR SE LA PÉTER (CORTO MALTESE SE LA PÈTE TOUJOURS) (C'EST LA RÈGLE DE BASE DE SON UNIVERS).


Boum (action) - Tchick (suspension de l'action) - Boum (réaction).

Trondheim, par exemple, fait parler ses personnages en même temps qu'ils se tapent dessus, ça reste dans le flux, et on a une simple propagation des actions-réactions. Hugo Pratt, lui, fait parler Corto Maltese entre deux actions. Ça génère une pause dans le flux. Actions-pauses-réactions. Ça donne un rythme plus coupé, moins fou-fou, plus lent plus réflexif (les personnages ont l'air de réfléchir à ce qu'ils font avant de replonger dans le flux des actions-réactions). Bref : ça colle parfaitement à l'ambiance que veut donner Hugo Pratt à sa bande dessinée.

L'autre moyen est de prolonger une action : Corto Maltese papote pendant des plombes pour débriefer de la mort de son copain. La réaction de Corto prend quatre case, entre l'action de la jeune fille et l'action du jeune garçon.

Là encore, Corto Maltese fait une pause dans le flux des actions-réactions en parlant pendant des heures, allumant une petite cigarette, se tenant de profil de manière sexy, prendre un air songeur, avoir le regard dans le vide, se la péter, encore se la péter, toujours se la péter (Corto Maltese est en fait une sorte de pin-up en pantalon).

CHEZ F'MURRR, C'EST TOTALEMENT DIFFÉRENT.





Hugo Pratt prend un sujet action-réaction, et glisse des pauses entre. F'murrr, lui, multiplie les sujets actions-réactions (Le chien et le mouton + la bergère et le berger + les brebis qui se chamaillent dans le fond)et les fait en plus se croiser. Non seulement on est sollicité de différentes manières dans une case, mais, en plus, ces différentes manières se croisent et on se retrouve à avoir des actions-réactions entre la bergère et le chien, entre le berger et les brebis.

Bref, Hugo Pratt joue la carte luxe calme et volupté alors que F'murrr est intéressé par le bordel.

Un bordel gentiment fou-fou et créatif, où tout le monde fait tout, n'importe quoi, et son contraire. Un bordel où tout semble possible. Et un bordel qui met le lecteur dans une position de déséquilibre dans laquelle des tas d'éléments disparates sont amenés à rentrer en interaction, à faire des liens entre eux qui n'étaient peut être pas prévu, et à créer de la poésie.

Le système d'action-réaction est toujours présent, seulement voilà, il est adapté suivant les goûts et les buts artistiques de chacun. Ralenti, parfois, pour donner un air plus contemplatif ; démultiplié, parfois encore, pour embrouiller le lecteur ; ou même accéléré (si, si, c'est possible) pour donner une impression d'urgence et « les gars je contrôle rien on va dans le mur », un stress qui va se communiquer au lecteur et transformer la bande dessinée en page turner du diable.

A CE PETIT JEU, JEAN-MICHEL CHARLIER ET JEAN GIRAUD SONT PASSÉ

MAÎTRES.

Ne surnommait-on pas Charlier : Jean-Mich-Mich-L'embrouille ?

NON. PAS DU TOUT. JAMAIS. TU VIENS DE L'INVENTER.

Oui, c'est vrai.





Charlier et Giraud multiplient les lieux (3), les personnages (4 groupes d'au moins 3 protagonistes (sasn compter sur les grouillots qui suivent le mouvement), les actions (machin poursuit chose, truc poursuit aussi chose, tandis que bidule poursuit machin) et les réactions (tout le monde stresse de tout, vu que tout le monde est poursuivi de partout).

Et c'est ce stress (en langage de scénariste : ce suspense) qui est recherché et obtenu par les auteurs, et qui rend Bluberry si addictif. (On peut d'ailleurs s'amuser à observer comment les auteurs ont petit à petit pigé le truc et multiplié de plus en plus les personnages et points de vue au cours des différents récit de la série.)

POUR CONCLURE.

Chaque auteur se doit de trouver le rythme qui colle à sa personnalité autant qu'à celle de ses personnage. Parce que le rythme, c'est l'âme d'une bande dessinée.

OUI, MAIS, ÇA, TU L'AVAIS DÉJÀ DIT.

Bin je le redis, c'est important.

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