Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 4 février 2016

La bande dessinée est un multi-mythe guerrier.

Corto Maltese nous montre ce que c'est qu'un guerrier, un vrai, un qui sait exprimer ses sentiments.



Hugo Pratt, Les éthiopiques, Casterman.

TROP BON TROP CON.

La figure du guerrier est une figure mélancolique.

Ouais bin il se la pète quoi, je vois pas très bien ce qu'il y a de remarquable là dedans.

A la base, il veut pas y aller. Et puis les gens insistent, alors il se dévoue, pour rendre service. Donc il y va et tue tout ce qui bouge sans sourciller (mais en étant triste pour ses ennemis quand même), puis, il rentre chez lui (ou pas, c'est un peu 50/50 sur les capacités de survie du guerrier, sur ce coup là, y a une justice), et ne parle plus jamais de tout ça.

C'est ce qui arrive à Achille, qui boude dans son coin, qui se fait prier, qui fait sa danseuse du ventre, mais qui, au final, y va quand même, parce qu'on vient de lui tuer son petit copain, et gagne la guerre de Troie (qui s'éternisait quand même depuis 10 ans) quasiment à lui tout seul.

C'est ce qui arrive à Arjuna (qui est donc le héros d'une grande saga hindouiste qui médite sur la vanité de toute existence), qui, juste avant une grande bataille, trouve soudain que tout ceci est vain et absurde (la guerre, absurde, quelle drôle d'idée), ne veut plus combattre, et ne lance pas l'attaque (du coup, les armées des deux camps restent plantées là comme des cons). Il faut alors toute la puissance rhétorico-philosophique de Krishna-Vishnou pour expliquer que ses troubles psychologiques ne sont provoqués que par le désir, et qu'il faut s'en abstraire en suivant, notamment, le Karma yoga (faut faire des trucs, et pas se prendre le chou) (voilà comment je vous résume une œuvre multi-millénaire et dix fois plus longue que la Bible en deux coups de cuillère à pot, ne me remerciez pas).

Et blabla bli, et blablabla, et j'ai trop une conscience, et je réfléchis, et je ne suis pas qu'une belle petite gueule. 
Et tu nous emmerdes, oui !

LA GUERRE, C'EST MAL.

C'est important. Le héros guerrier ne veut pas faire la guerre. Parce que le héros guerrier n'est pas juste un gros tas de muscles bon à casser des nuques, il est aussi sensible et réfléchi. Et, ça, ça plaît aux filles ça construit un personnage multi-dimensionel qui n'est pas simplement défini par sa fonction (tuer des gens), ni par ses actions (pacifier la zone sur 10 kilomètres carré), mais qui a aussi des états d'âmes.

Ces états d'âmes sont à la fois motivés par l'action (finalement, le génocide, il est pas pour) et rythme celle-ci. S'il était juste guerrier, il aurait massacré son petit monde et on en parlerait plus ; mais, là, il y a du suspense : y va-t-y, y va-t-y pas, et est-ce qu'en plein milieu de la bataille, au milieu de tous ces morts, il va pas recommencer à nous faire une petite dépression ?

Disons plutôt qu'il a trouvé une bonne excuse pour rien foutre. Le vague-à-l'âme, il a bon dos !

LA RÉFLEXION, C'EST BIEN.

Deuxième effet Kiss Cool : comme, de fait, on met en avant les états d'âmes, la psyché, et même les questionnements philosophiques du héros, au final, l'action n'est plus au centre du dispositif scénaristique ; ce qui en devient le centre, c'est le héros, ses questionnements, et l'ensemble des personnages qui gravitent autour de lui et qui se positionnent par rapport à ces questionnements. Les hésitations du personnage impliquent une pause dans l'action, et un développement NATUREL de la réflexion. Parce que sans cette réflexion, l'action ne risque pas de reprendre, donc il faut automatiquement en passer par là pour réussir à poursuivre l'action.

Au final, on se retrouve dans un film de chambre de bonne, avec des mecs qui discutent du sens de la vie. C'est juste qu'ils sont entourés de cadavres.

Bref : pour faire un bon héros guerrier, faites-en un intello qui se prend la tête.

Le mec, il se trimbale avec un bouquin illisible, et il se cache même pas que c'est juste pour la pose et qu'il le lit pas en fait.

MAIS CE N'EST PAS TOUT !

Faites en un intello SOLITAIRE (un emo intello) (c'est bien connu : Achille était un gros emo introverti) (si, ce que je dis est vrai) (non, je ne raconte pas n'importe quoi).

Le guerrier est un héros solitaire parce que : 

  • D'une, il est seul dans ses pensées de gros intello.
    C'est bien la vie intérieure, mais à un moment, faut se bouger le cul, aussi, tu crois que le monde il va t'attendre ? Loser !

    • De deux, il est super fort et peut tuer n'importe qui rien qu’avec un clin d’œil, alors il s'extrait de la masse ; les autres, ce sont des soldats, lui, c'est un guerrier, tu vois ?
    C'est un putain de psychopathe qui napalme toute la zone, et on voudrait me faire croire que c'est un mec bien ? je rêve !

    • De trois, quand il rencontre un autre guerrier, ils se reconnaissent, savent qu'ils sont faits de la même eau, et se font un check-check discret pour montrer le respect mutuel qui les anime.



    Bref, dès qu'il y a un tueur dans la région, ils se trouvent trop de points communs. Gé-ni-al.

    • De quatre, la guerre, c'est de la merde, et il le sait.
    Une vision très tardiesque de la guerre.

    Il en est ainsi du héros guerrier : il est parfaitement conscient que la guerre, c'est nul, et qu'il a une vie de con.

    TRAVAIL DÉVALORISANT ET HONTE DE SOI.

    Si cette remarque est peut être pas super vraie pour Achille (qui kiffe un peu être le héros de toute la nation achéenne) (mais dont le combat est quand même vain, hein, faut pas déconner non plus, si notre vie avait du sens, ça se saurait), elle l'est complètement pour Arjuna (qui en arrive à remettre en cause toute sa vie, et sa fonction sociale), ou encore pour Sanjuro et Rolf Steiner.

    Rolf Steiner est un sergent de l'armée allemande en débâcle en Crimée en 1944. C'est vrai que, dans la vie, on fait plus jouasse. Il n'aime pas sa hiérarchie, il n'aime pas le régime nazi, il n'aime pas la guerre. Mais pourquoi se bat-il, alors ? Pour essayer d'aider ses hommes, déjà, et puis parce qu'il est bon à ça. Par habitude et par addiction.

    Sanjuro (héros du film éponyme de Kurosawa avec Toshiro Mifune dans le rôle titre) est un samouraï sans maître qui trouve que le recours à la violence est vain, mais qui ne peut rien faire d'autre que d'utiliser cette violence, puisqu'il ne sais rien faire d'autre. Ok, il est super fort à la bagarre, mais il sait que cette bagarre est l'arme des faibles.

    Ces guerriers ont tous le sens de la vanité. Ou ils n'ont pas celui du ridicule. Ça dépend du point de vue.

    LE PETIT CŒUR QUI BAT SOUS L'ARMURE.

    Le héros guerrier trouve ainsi une manière d'échapper à son statut de gros bourrin sous stéroïdes en devenant un gros bourrin qui a parfaitement conscience de sa place dans l’échiquier de l'univers et qui n'en est pas plus fier que ça.

    Voilà ! Ça c'est un vrai héros qui meurt pour la patrie ! Pas comme certains supposés beaux gosses bruns planqués !


    C'est à ce moment que le héros guerrier échappe à son cadre de personnage-fonction (un personnage-fonction est un personnage qui n'est défini que par sa fonction, qui ne fera rien en dehors de sa fonction, et dont on ne saura rien hors de sa fonction ; si ça fonction est d'ouvrir une porte, le personnage-fonction ouvrira des porte durant tout le récit, et on ira pas chercher plus loin) pour devenir un vrai personnage avec des pensées, des remords (Arjuna), des colères (Achille), des désillusions (Steiner) et des dégoûts (Sanjuro).

    En plus, si l'auteur se sent les épaules, ça permet de favoriser une réflexion mi-philosophique mi-sociologique sur le ton de « vanité vanité tout n'est que vanité ».

    Enfin, ça rend le héros sexy.

    AH LE SALOPIAUD !

    C'est une constante absolue : voir un héros super doué qui, en plus, souffre de ses dons et a du vague à l'âme, ça donne envie de le consoler, et, de  fait, tous ces héros sont des aimants à femmes et/ou hommes.








    Et gnagnagna je me les tombe toutes. Et gnignigni je suis un aimant à meufs. Mais ce qu'elles recherchent c'est un échange ! 
    Tu comprends ça, mec ? T'es en train de trahir leurs sentiments, là !

    On a donc toujours l'impression qu'il y a lui, son aura de coolitude-sexitude-badassitude, et les autres, qui s'écartent sur son chemin en se flagellant de pousses d'orties fraîches, ou, au moins, en suivant son tempo. Le vague à l'âme du guerrier renforce son côté sexy, qui renforce son côté leader naturel, qui renforce son côté guerrier, qui renforce son vague à l'âme, qui renforce son côté sexy... Etc.

    Ouais bin il aime bien se faire prier, quoi.

    CECI DIT.

    En respectant ces codes, on permet de peupler un personnage pas forcément hyper intéressant ou hyper varié de tout un tas de pensées qui le rendent à chaque fois unique et profond.

    Le simple fait de faire prendre conscience au héros guerrier de son statut à part de héros guerrier lui permet d’échapper à sa fonction de héros guerrier (et aux intrigues convenues qui vont avec) pour devenir un vrai personnage.

    MOI, JE DIS : « PAS MAL ».

    C'est ça ouais, vas-y, casse toi !

    3 commentaires:

    1. ahh super bien et comme toujours hyper drôle tout ca! (tadaa, encore l'allemand sur ton blog) je suis déja curieux comment tu vas te débrouiller à décrire les autres archetypes. tu feras une petite détour à C.G.Jung?
      si quelqu'un veut écouter une heure un vieux texan post jungian psychologue parler sur les achetypes, c'est ici chez robert moore :

      https://www.youtube.com/watch?v=hYxNprRHMx0

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      1. Désolé pour la réponse tardive, mais je voulais visionner la vidéo (très très intéressante) avant d'écrire, et ça m'a pris une semaine avant d'avoir un créneau.

        Alors, par contre, je mentirais si je disais que mon but ultime était de parler de Jung, pour la bonne est simple raison que j'y connais rien en Jung à part les vagues bases glanées ici ou là sur le intraweb. Alors, oui, j'essayerais d'en parler dans la conclusion des 4 posts pour paraître intelligent. Mais ce ne sera que du bluff.

        Pour le moment, je vais essayer de me contenter de décrire les mécaniques sous-jacentes des différents archétypes sans dire trop de conneries, et ce sera déjà suffisant à mon petit niveau.

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      2. Merci pour la vidéo, en tous les cas.

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