Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 28 janvier 2016

La bande dessinée est un multi-mythe.

J'avais déjà essayé d'expliquer ici que la plus part des structures scénaristiques modernes sont inspirées d'une et d'une seule source : le héros aux mille visages, de Joseph Campbell (dont l'idée maîtresse est de dire : tous les grands récits mythologiques sont basés grosso modo sur les mêmes successions d’événements, donc si vous voulez vous aussi écrire un grand récit mythologique, va falloir faire tout pareil, au centimètre près).

Seb Piquet, Père ou impairs - Toute une éducation à refaire, Dargaud.

PARCE QUE STAR WARS.

Le fait est que, effectivement, Georges Lucas s'est inspiré des écrit de Joseph Campbell est à réussi à créer un véritable mythe, c'est indéniable, on en parlera encore dans 5000 ans de son truc, c'est le nouveau Homère ?

Y a comme un ressemblance, non ? Dans le regard, surtout, je trouve...

Le travail de Joseph Campbell n'est peut être pas super bien justifié d'un point de vue ethnographique, ou un peu trop généralisant, ça n'empêche pas que Star Wars est calqué dessus et que Star Wars a fait plein de pognon de succès.

Et, ça, l'argent qui coule à flot par toutes les fenêtres le succès, c'est quelque chose qui parle à tout le monde, y compris aux artistes qui cherchent à rencontrer un public, et surtout aux producteurs/éditeurs qui ont besoin d'un plus grand yacht parce que sinon leur personnel de maison n'aurait pas pu dormir avec eux  ne désire qu'une chose : rencontrer et faire plaisir au public le plus large.

Nous assistons donc depuis trente ans au phénomène suivant : tous les films d'action (et même quasiment tous les films hollywoodiens) (et même une grosse partie de la production cinématographique et romanesque mondiale) (et toutes les bandes dessinées de Christophe Arleston) racontent la même chose.

PARCE QUE JÉSUS.

Dessin de Jens Styve.

On prend un jeune gars un peu fou-fou qui n'est pas grand chose (fermier, forgeron, pêcheur, un truc dans  le genre) et qui a un père super balèze et mystérieux ; on lui fait rencontrer des gars sympa qui vont le guider, puis l'aider, puis croire en lui, puis s'en remettre complètement à lui ; et à la fin il sauve le monde.

Ça marche avec Star Wars, ça marche avec Lanfeust, ça marche avec Gilgamesh, ça marche avec Jésus, ça marche avec des tas de trucs.

PARCE QUE BETTELHEIM.

Dessin de Hermenegildo Sábat.

Pour apporter sa petite pierre à l'édifice, Bruno Bettelheim (connu pour sa psychanalyse des contes de fées) a également précisé que n'importe quel conte comportait des références au moi (l'âme, la force), au ça (Jésus, Luke Skywalker), et au surmoi (Dieu, Dark Vador).

PARCE QUE NOUS.

Dessins de Isabelle Kessedjian.

Il est assez facile de voir pourquoi nous, dans nos vies un peu pourries, un peu faiblardes, sommes facilement séduits par des récits qui nous expliquent que, ok, d'accord, t'es peut être dans une phase de moins bien, mais t'inquiète, y a un vieux mystérieux qui va débarquer incessamment sous peu et tu va t'apprendre que tu es le héros secret de l'univers et à la fin tu va coucher avec plein d'ewoks la princesses Leïa.

BREF.

Ce sont effectivement des idées, un mythe, un héros-type, une forme de récit qui courent tout au long de notre civilisation et que chacun interprète à sa sauce (religieuse, psychanalytique, ou scénaristique). C'est un mythe, qui a circulé à travers les époques, et qui s'est adapté et a été enrichi par les différents contextes qu'il a traversé. Du coup, à notre époque de maintenant, il peut s'adapter à tout.

MAIS !

(Il y a toujours un « mais », les gars, me dites pas que vous l'aviez pas vu venir.)

Ce mythe n'est pas le seul. Ce n'est pas parce qu'il parait être le plus courant de notre époque qu'il est forcément celui qui a prévalu tout au cours de notre déjà longue histoire humaine.

D'autre histoires, avec d'autres héros, ont déjà été racontées, tout aussi valables, tout aussi puissantes, tout aussi évocatrices.

Et il n'est donc pas forcément obligé de faire un décalque précis à la minute près de Star Wars IV pour construire Star Wars VII un récit puissant possédé par des personnages super cools.

Il existe d'autres mythes que nous pouvons identifier par-delà les âges farouches et c'est un peu le sujet de cette nouvelle chronique qui, je sais, vient après un développement peut-être un poil laborieux, mais il fallait bien poser les bases pour savoir où on allait, si l'on construit sa maison sur du sable on oublie bien vite que l'important est de savoir d'où l'on vient et un tiens vaut mieux que deux tu l'auras.

Le magicien connaît tout sur tout. Il sait transformer les choses en expliquant cela de manière louche, absurde, mais, en un sens, crédible. En général, le magicien ne vieillit pas, ou peu, ou lentement. Le magicien fréquente l'humanité mais ne s'y implique pas pleinement. Il essaye de régler les problèmes des gens en gardant toutefois une certaine distance, une certaine étrangeté. Sauf que parfois il se fait un ami/tombe amoureux, et ça lui joue des tours.

Parmi les magiciens de fiction célèbres, on peut penser à :

Le Docteur, de Docteur Who.

Merlin l'enchanteur des légendes arthuriennes.

Docteur Fate de la galaxie des super-héros DC.

Arsène Lupin (si ! Arsène est un magicien) (un magicien de l'amour, déjà) 
(mais également un personnage qui a de vrais points communs avec ceux ci-dessus) (nous verrons cela plus tard).

Le guerrier est un spécialiste. Il connaît le métier des armes, il a vu la guerre. C'était pas sa guerre. Il l'a quand même faite, du mieux qu'il a pu, pour lui mais surtout par fidélité à son chef/son clan/sa famille. Il sait se battre et il a porté cette compétence jusqu'au niveau de perfection d'un art qui lui permet de voir les choses derrière les choses. c'est déjà pas mal. Il laisse la politique aux autres.

Comme exemple de ce genre de type un peu monomaniaque mais franc du collier, nous avons :

Achille, de l'Illiade, bien entendu, on ne connaît que lui. (Y a Diomède, aussi, comme exemple de guerrier grec super-badass ; 
mais comme personne le connaît, et qu'ensuite tout le monde croit que je veux parler de foot, on va rester sur Achille.)

Arjuna, un des héros du Mahabharata, et le personnage principal du chapitre appelé Bhagavad Gita, 
une immense fresque hindouiste et philosophique.

(Là, je vous ai mis la version sobre de la mise en scène de Peter Brook, mais sachez que, grâce à internet, 
on peut trouver de nombreuse interprétations bien plus croquignolettes du personnage :)

Il scintille, c'est trop chouette.

(Je referme cette parenthèse.)

Les multiples personnages de samouraï-solitaire-et-parfait-enfin-presque (et ça aurait pu être Samouraï Jack, ou la bête du Garçon et la bête, mais, là, c'est Sanjuro, un personnage de Akira Kurosawa joué par Takeshi Mifune).

Ou Rolf Steiner, le personnage pété de classe du film Croix de fer, de Sam Peckinpah.

En même temps, quand on est joué par James Coburn, ça aide un peu pour avoir la classe.

Le voyageur voyage. C'est pas plus compliqué que ça. Il va d'un point a un autre, rencontre des gens sans cesse différents, des dangers sans cesse renouvelés, et arrive à sauver ses miches grâce à son ingéniosité (il en a dans la caboche) ou sa bonté (il a aussi bon cœur, et l’esclave sauvé au début de l'histoire sera celui qui le sauvera à la fin). Sur lui souffle la soif de découverte. l'envie d'être sans cesse confronté à de nouvelles merveilles.


À tout seigneur tout honneur : le plus grand des voyageurs, c'est Ulysse, et sa croisière Corsica ferries de 10 ans.

Mais on peut aussi penser à Sinbad, son pendant mille-et-une-nuits-esque. 
Et comme je ne sais pas qui des deux a copié sur l'autre pour inventer ses aventures, c'est zéro aux deux et puis c'est tout. 
Et deux heures de colles.

 Et puis y a Jason aussi, dans le genre je parcours le monde en jupette et je tape sur des squelettes. Il est cool, Jason.

En bande dessinée, on n'est pas plus mal loti que ça questions personnages qui vadrouillent. Tintin, par exemple, ne fait que ça. 
(Il voyage même dans des pays qui n'existent pas, pareil à Ulysse, comme quoi, y a des traditions qui ne se perdent pas.)

Et puis y a Luky lucke, qui est un peu notre Code Quantum a nous : 
il est perdu quelque part aux Etats-Unis, et il ne semble pas prêt de rentrer chez lui.

Le conseiller est celui qui sait se servir de son cerveau (et de sa parole) plus que de ses muscles. Il est intelligent, il est vif, il a un syndrome de supériorité très élevé, et, une fois sur deux, c'est une grosse fourbasse qui manipule et trahit tout le monde pour son propre intérêt (qui peut être de coucher ou de gagner de la thune ; on peut bien avoir un cerveau plus gros que la moyenne, on n'en reste pas moins homme).

Dans le genre « je parle d'abord, je tape ensuite », on retrouve notre poto Ulysse.

Mais le mec qui sait parler sait aussi manipuler les gens, il est donc souvent méchant et fourbe (comme on peut le remarquer chez le personnage de Vizzini de la Princesse Bride, puisqu'il est moche et que tous les moches sont fourbes, c'est bien connu).

Dans le genre fourbasse, on a d'ailleurs pas bien fait mieux que Iago. (Je pensais plus au personnage de Shakespeare qu'au perroquet, mais toutes les autres illustrations de google image étaient moches, alors...)

Et comment ne pas finir en énumérant les personnages qui savent se servir de leur cerveau par Sherlock Holmes ?

ALORS, OUI, D'ACCORD !

On retrouve ces personnages dans Star Wars (Ben Kénobi, c'est le magicien ; Han Solo, c'est le guerrier ; la princesse, c'est la futée de la bande (elle est chef de la résistance, et elle vanne sans arrêt Luke et Han sur le fait qu'ils ont 1/2 cerveau pour deux).

MAIS !

Le succès de Star Wars a cantonné ces personnages au rôle de faire-valoir du héros, le toujours beau, le toujours jeune, le toujours fort-mais-il-le-sait-pas-encore Luke Skywalker. Ce qui amène par exemple les nouvelles interprétations d'Achille à déformer le personnage pour le faire rentrer dans le carcan de Luke (alors qu'il a rien à voir avec le personnage) (et beaucoup plus avec celui de Han Solo).

Mais tous ces personnages ne sont pas que des faire-valoirs. Ce sont des exemples de personnages-types qui irriguent toutes la fictions internationales à travers les âges et qui offrent de belles possibilités aux scénaristes quand ils décident de les utiliser en personnages principaux.

Des personnages-types que nous essayerons de décortiquer dans les semaines à venir.

Petit jeu quizz pour finir : 
saurez-vous retrouver les différents stéréotypes présents dans ces fines équipes ?