Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 30 juillet 2015

La bande dessinée en série pour un coloriste.

Stéphane de Becker (Stuf) nous montre comment on peut s'approprier les couleurs d'une série, petit à petit.

Le beau travail de Stuf dans 50 nuances de bleus, Dupuis.

Au début de la reprise de Spirou et Fantasio par Tome et Janry, c'est le studio Leonardo qui réalisait les couleurs (comme il réalisait à-peu-près toutes les couleurs de toutes les séries du magazine Spirou). Bon. Avec plus ou moins de réussite on va dire. Je ne suis pas dans le jugement, hein. Je peux comprendre qu'on n'en ait rien à foutre des couleurs de la série mère du journal porte-avion d'un éditeur et qu'on en fasse n'importe quoi. Je veux dire : c'est humain.

Nonobstant ces considérations, au moment du  Retour du Z, Tome et Janry décident de prendre un coloriste et ce sera Stéphane de Becker, dit Stuf.

Comme Janry, comme Tome, Stuf va petit à petit s'approprier la série et pousser toujours plus loin sa technique.

UNE TECHNIQUE QUI COMPREND PLUSIEURS POINTS.

- Premièrement :  identification des différents objets et personnages (la base).
- Deuxièmement : harmonisation des teintes (faut avoir bon goût, mais c'est jouable).
- Troisièmement : définition des ambiances et des enjeux (le grand truc caché dans la couleur, assez chaud).
- Quatrièmement : le tout de plus en plus subtilement (de plus en plus maîtrisé). 

IDENTIFICATION DES OBJETS.

C'est le B.A.BA du boulot de coloriste. C'est presque le pourquoi du comment du coloriste. Si la couleur existe en bande dessinée, c'est pour identifier correctement les différents éléments présents dans la case.


Dites moi pas qu'on arrive à lire ces deux pages avec la même facilité.
La couleur aide à identifier les différentes formes, notamment dans les décors ou dans les fonds.

Avec un trait fin et détaillé comme le voulait Janry (et comme il le poussera encore plus loin par la suite), il faut avoir un coloriste digne de ce nom qui permet aux différentes formes d'émerger de l'amas de traits.

Et c'est donc exactement ce à quoi s'emploie le studio Leonardo.

SAUF QUE C'EST MOCHE.

 Des marrons, des verts, des caca-d'oie et du rose. Le bon goût à son acmé.

Le problème de Leonardo sur ce coup, c'est qu'il font bien le travail de base (identifier les formes) mais qu'il ne font rien de plus. (Est-ce que les couleurs signifient quelque chose dans le contexte ? Nan. Est-ce que les couleurs magnifient le dessin ? Que dalle. Est-ce que les couleurs sont simplement jolies ? Haha non mais vous n'y pensez pas ! Et pourquoi pas une Europe de gauche tant qu'on y est ?)

ET LÀ, STUF ENTRE DANS LA PLACE.

Son premier travail a été de conserver l'identification des formes, mais d'harmoniser l'ensemble des couleurs d'une case, voire d'une page, voire d'un livre (c'est beau, l'ambition de la jeunesse).

Ce qui a donné ça :

Soyez pas mauvaise langue, on peut pas dire que ce n'est pas harmonisé.

Alors, est-ce que c'est bien ? Oui. Est-ce qu'on pourrait faire mieux ? Je vais pas dire non.

IL VA FALLOIR APPRENDRE À DIVERSIFIER UN PEU A PALETTE.

Ce que fait Stuf dès le livre suivant : Spirou et Fantasio à New York.

Et on commence dès le début avec des tons pastels beaucoup plus softs, mois marqués, et qui vont donc offrir plus de possibilités. (Si on commence directos dans le rouge, bin on ne pourra que décliner cette couleur (rose, marron, etc.), mais si on commence dans les pastels jaune/rose/beige, on va pouvoir partir dans des tas de directions différentes.)

Jaune, orange, rouge, rose, gris, marron, et rien d'autre.

De fait, les fonds des cases seront toujours soit jaunes, soit beiges, soit roses (un peu de gris aussi), et les couleurs des différentes formes à identifier ne porteront que des déclinaisons plus franches de ces couleurs de base.

Et là, Stuf a mis le doigt dans l'engrenage qui va le poursuivre tout du long de son boulot pour Spirou : la nuance.

Son travail, ce sera de trouver toujours plus de déclinaisons de quelques couleurs de base afin de toujours mieux renforcer l'harmonie de l'ensemble.

ÇA TOMBE BIEN, LE PROCHAIN BOUQUIN SE PASSE ENTIÈREMENT DANS UN DÉSERT.

IL VA POUVOIR BOUFFER DES JAUNES-MARRONS-ET-J'EN-PASSE.

Déjà, ça pique un peu moins les yeux que sur Le réveil du Z. Et ce grâce à une palette harmonisée mais plus soft (donc plus restreinte, faut avoir beaucoup de maîtrise pour faire varier aussi subtilement les couleurs).

Et quand je dis subtilement, regardez moi ça :

6 nuances de beiges.

Mais il y a également la rupture de couleur nécessaire et très feinteuse : le slip rose.

Fantasio s'habille en bleu et marron et court sur un décor marron et bleu. 
Comment le différencier nettement ? Grâce à du rose.

Dans une page entièrement colorée de camaïeu de marron, il faut parfois savoir rompre sa logique d'harmonie pour garder la mission première de la couleur : identifier les formes. En l'occurrence, là, on identifie bien Fantasio : c'est le gars au slip rose.

Ce slip nous permet de nous attarder sur (selon moi) un autre coup de génie de Stuf (c'est en germe dès le début, mais c'est sur ce bouquin que Stuf semble avoir trouvé le bon dosage) : Spirou est en rouge et Fantasio en bleu.

Pas la peine de chercher, on sait tout de suite à qui est la main de qui.

Dingue, non ?

COMMENT ÇA « NON » ?

Et bin pourtant si.

ET TOC.

Spirou en rouge et Fantasio en bleu, ça date pas de hier, c'est sûr. Mais que ces couleurs soient utilisées pour faire resortir les personnages principaux par rapport à tous les autres éléments du récit, ça, c'est nouveau.

À partir de maintenant, Spirou et Fantasio auront des couleurs franches, vives, et qui trancheront nettement avec les couleurs plus nuancées, plus pastels, et plus marron-beige-jaune-gris de l'ensemble du reste des cases (objets, personnages, décors).

De cette manière, Spirou et Fantasio deviennent réellement les protagonistes de leurs aventures. Ils y a tout le reste. Et il y a eux. Qui se battent pour réussir leur expédition.

Tout est marron, sauf eux.

CETTE DÉMARCHE EST ENCORE PLUS VISIBLE DANS LA VALLÉE DES BANNIS.

La vallée des bannis, c'est la merde pour Stuf. Il a tout défini son système de couleur à base de gris-beiges-marrons, et on lui colle une aventure en pleine jungle. Il y a du vert partout. Bon, il y a le marron des troncs d'arbre. Mais il y a aussi le vert des feuilles. Ça lui pète tout son système.

 Du vert et du bleu. Où sont passés tous les jaunes et les marrons ?

SAUF QUE NON.

Il va garder son nuancier actuel, il va conserver son système Spirou-rouge-pétant / Fantasio-bleu-profond, et rien d'autre en rouge ou bleu autour (comme ça on comprend bien que les deux héros luttent contre l'ensemble du reste de la jungle et des éléments déchaînés), il va y rajouter du vert (du vert pastel la plupart du temps, hein, faut pas déconner non plus), ET IL VA FAIRE S'AFFRONTER LE VERT ET LE MARRON.

Putain d'idée de génie.

ATTENTION SPOILER.

La vallée des bannis est l'histoire de Spirou et Fantasio piégés dans une vallée insondable et profonde, de Fantasio qui devient fou à cause d'une espèce de saloperie de moustique vicieux, et de Fantasio qui essaye de tuer Spirou avant de fuir en hululant « Fantasio magaziiiiiiiine », parce que ça ferait un titre plus classe que « Spirou magaziiiiiiiine ».

À partir de là, Stuf va attribuer le marron-jaune à Fantasio, et le vert à Spirou.

POURQUOI ?

D'abord parce que jaune et bleu (la couleur de Fantasio) ainsi que vert et rouge (la couleur de Spirou) sont des couleurs complémentaires et que donc leurs alliances les renforcent, les mettent en valeur.

Voyez comme ce magnifique cercle colle presque bien à ma théorie.

Ensuite parce que l'histoire montre un Spirou qui se débrouille bien mieux que Fantasio dans la jungle, le vert étant son élément.

Spirou sait couper du bois, c'est hyper signifiant.

BON. D'ACCORD. MAIS CONCRÈTEMENT, DU COUP, ÇA DONNE QUOI ?


Quand Fantasio commence à avoir ses petites crises, il explose des ballons roses comme le rouge de Spirou, 
ce n'est pas un hasard.

Quand Spirou arrive à battre Fantasio, c'est grâce à une plante verte, 
ce n'est pas un hasard.

 Quand Fantasio arrive à coincer Spirou, c'est sur une roche jaune, 
CE N'EST PAS UN HASARD.

Vous pourrez regarder sur tout l'album, ce code couleur est assez systématique.

Stuf a trouvé tout ce que (très) bon coloriste vise : grâce à lui, la couleur est devenue un acteur à part entière de l'action. Elle teinte au propre comme au figuré la scène en poussant l'ambiance plus dans un sens ou un autre ; elle guide presque subconsciemment les sentiments des lecteurs. Et quand l'image devient jaune, on comprend que Fantasio est dans les parages et que ça va chier. Un peu comme la petite musique vicieuse au violon dans les films d'horreur, mais en 100 fois plus fin.

David Mazzuccheli a systématisé ce concept dans son Asterios Polyp.
Le bleu pour la fille, le rouge pour le mec, et le jaune quand le mec est seul, parce que c'est la couleur contraire au bleu.

De même, dans ce passage, ce n'est pas vraiment l'eau (bleue) qui risque de tuer Spirou, 
c'est la non-aide de Fantasio (en bleu aussi).

'Voyez qu'avec les couleurs on dit pas mal de trucs, quand même ! (J'ose le point d'exclamation, pour marquer le coup.)

BON. POUR FINIR, PARLONS UN PEU DE LUNA FATALE. ET VOYONS UN PEU COMMENT LES COULEURS VONT PILOTER LES SENTIMENTS DE SPIROU.

Des tas de filles essayent de séduire Spirou. Voyons un peu comment ça se présente.


De sont côté, Fantasio porte un neud papillon violet (du meilleur goût) et un complet trois pièces bleu. La fille à sa droite est en robe violette et celle à sa gauche est en bleu. La couleur, ainsi, nous montre que ça roule boule pour Fantasio le dragueur impénitent.

Pour Spirou, c'est une autre paire de bretelles : il est en rouge, elle est en vert. C'est carrément pas bien barré du tout. On comprend par ce simple code que Spirou n'en a rien à faire de la fille. Il n'est pas en « symbiose colorimétrique »  avec elle.

Et puis tout d'un coup, ils sortent dehors, et c'est la nuit, et il fait violet.


Monumentale erreur Spirou ! Tu deviens de la même couleur que la fille (qui, en plus, enlève son chemisier). Bon, d'accord, tu résistes, tu résistes, mais tu perds du terrain, et la fille se rapproche.

Heureusement, Luna interrompt tout ça, sinon on allait directos au bisou (beurk).

UNE DIZAINE DE PAGES PLUS TÔT.


C'est Luna elle même qui a essayé de draguer Spirou. Mais elle voit bien qu'elle est mal barrée, puisqu'elle est en noir et blanc tandis que Spirou est en couleur. Alors elle essaye de se mettre un peu de rouge sur la tête, histoire de se rapprocher de notre héros. Bon. Ça marche moyen.

UNE DIZAINE DE PAGES PLUS TARD.


À ce moment là, Spirou a du se déguiser en mafioso pour faire l'espion. Il est en noir et blanc (il a même les cheveux noirs) ; elle est en noir et blanc. La conséquence est inéluctable. (Pourquoi Luna est-elle en noir et blanc d'ailleurs ? Parce qu'elle ne s'intègre dans aucun système de couleur, dans aucune ambiance, dans aucun décor. Elle est à part. Elle est LA fille.)

EN TOUS LES CAS...

Il y coupe pas : bisou.

RIEN QUE DE TRÈS NORMAL. CES GENS N'ONT FAIT QUE SUIVRE CE QUE LEUR DICTAIENT LES COULEURS DE CE GÉNIE DE STUF.

(La semaine prochaine, un autre génie, directement en provenance de Savoie : Tome.)

jeudi 23 juillet 2015

La bande dessinée en série pour un dessinateur.

Janry nous montre comment dessiner une série après André Franquin (un demi Dieu descendu de l'Olympe).

Tome, Janry, Stuf, Spirou - Luna Fatale, Dupuis.

EN BANDE DESSINÉE, FAIRE UNE SÉRIE, C'EST COMME FAIRE DES ALBUMS SOLITAIRES, MAIS EN PLUS COMPLIQUÉ.

Il y a des tas de nouvelles contraintes (utiliser tel personnage, se couler dans tel genre de récit, tenir compte d'un lectorat cible, etc.) qui viennent s'ajouter aux contraintes classiques d'un album de bande dessinée (être bon et ne pas se planter).

C'était sans compter sur la contrainte ultime, juste pour déconner.

SE FAIRE IMPOSER LE DESSIN D'UN AUTRE.

Un dessinateur a déjà suffisamment de soucis pour trouver un style de dessin qui lui plaise, qu'il arrive à aborder facilement, et qui lui permette de raconter ce qu'il veut, il faut encore qu'on vienne lui dire : « Non mais laisse tomber. Tout ça, ton dessin, ton style, c'est des conneries. tu vas plutôt dessiner comme Franquin. » (je sais pas si vous aviez déjà remarqué, mais les éditeurs ont un humour glacé et sophistiqué très développé).

TOUTEFOIS, MÊME SI LES ÉDITEURS SONT FOUS, ILS NE SONT PAS (COMPLÈTEMENT) IDIOTS.

C'est pour ça qu'ils cherchent à donner la suite d'une série à des auteurs qui semblent quand même vaguement intéressés par le même genre de travaux que leurs prédécesseurs.

C'est comme ça que Ted Benoît a pu faire deux Blake et Mortimer, sur la base de ses œuvres précédentes très ligne claire, alors qu'il était plutôt dans un creux de carrière à ce moment (pas forcément une locomotive des ventes à lui tout seul, donc). (Bon, il s'est quand même fait remercier ensuite pour non-tenage de délais (ces artistes, ça n'a aucun sens des réalités, ça prend son temps, ça papillonne, ça ne pense pas qu'il faut offrir un Blake et Mortimer à tonton Gérard tous les Noël).)



Ted Benoît, dont le travail personnel (en haut) et le travail sur Blake et Mortimer (en bas) trouvent certains échos.

Par contre, quand on file le boulot à quelqu'un de beaucoup moins concerné par la ligne claire, ça donne tout de suite 
quelque chose de plus moche (madre de dios) (pour ne vexer personne, on peut dire « un travail un peu moins élégant »).

Et c'est comme ça que Tome et Janry se sont vu proposer de reprendre la série Spirou et Fantasio, parce que euh... bin... euh... parce qu'ils étaient rigolos.

DIS DONC, IL EST POURRI, TON LIEN LOGIQUE, LÀ !

Tome et Janry étaient quand même bien intéressés depuis le début par Franquin. 
Ils ont même fait un gag de Gaston pour la déconne.

Pour que mon lien fasse un peu plus sens, il faut admettre que le rédacteur en chef du magazine de Spirou de l'époque (Alain de Kuyssche) (qu'est-ce que c'est galère à taper, les noms belges, quand on est pas belge) savait exactement ce qu'il faisait et qu'il avait détecté en Tome et Janry les thèmes sous-jacents et les préoccupations artistiques hésitantes qui rejoindraient et s'épanouiraient parfaitement au sein du chemin débroussaillé par Franquin (je deviens presque aussi balèze en verbiage que le maire de Champignac).

PAR EXEMPLE, L'ENCRAGE.

Vous vous souvenez peut être que l'encrage, chez Franquin, c'était tout un pataquès. Il était ainsi passé durant toute sa carrière de la plume au pinceau, puis au rothring, dans un soucis toujours accru de réalisme dans les textures.

HÉ BIN JANRY, C'EST PAREIL.

Enfin presque.

Mais disons qu'il est passé lui aussi de la plume au pinceau.

Et que lui, c'était dans un souci toujours accru de réalisme dans les volumes.

BON. QUAND MÊME. CHIPOTEZ PAS. C'EST KIF-KIF.

Janry est parti d'un dessin à la plume assez peu réaliste et très souple. Assez « gros nez », comme on dit. Assez « Gaston », finalement. Ou encore : « Assez école de Marcinelle »

Seulement, Janry avait envie de rajouter de nouveaux éléments dans son dessin. Et, pour ça, il est passé au pinceau.

QUE LUI A PERMIS LE PINCEAU QUI ÉTAIT PLUS DIFFICILE À OBTENIR A LA PLUME ?

Déjà, des noirs.

L'épaisseur du trait travaillait déjà Janry quand il dessinait à la plume.


L'épaisseur du trait, c'est pratique, ça permet de peindre les ombres sans vraiment les peindre, 
de représenter les volumes sans vraiment les représenter. 
(Admirez ici le trait du bras qui rend son volume.)


Ici, le gros général est bien dessiné tout en ombres, 
mais le soldat, lui n'est ombré, volumisé, que grâce à une plus importante épaisseur de trait.

Mais quand il passe au pinceau, là, c'est open bar, il fait des gros traits bien noirs partout et tout le temps. C'est particulièrement notable dans Spirou et Fantasio à New York et La frousse aux trousses, qui sont les deux premiers albums de Janry réalisés au pinceau, et dans lequel Janry se lâche complètement, avant de revenir à un peu plus de retenue et d'équilibre.

Regardez donc toutes ces ombres qu'il n'y a pas dans L'horloger de la comète...

Mais qui se trouvent ensuite dans La frousse aux trousses ( le livre suivant)...

Pour être nettement atténuées ensuite (notamment dans la vallée des bannis, le livre qui vient juste après).


 Les ombres sont toujours là, mais plus fines. 
Elles font le même effet, soulignent les mêmes volumes, mais avec plus de discrétion.

(Comment est-ce que je sais que c'est entre le retour du Z et Spirou et Fantasio à New York que Janry est passé de la plume au pinceau ? Déjà, parce que j'ai un œil extrêmement aiguisé. Ensuite, parce qu'il l'a dit dans des interviews.)

MAIS JUSTEMENT, QUE PERMET CE NOUVEAU TRAIT AU PINCEAU ?

  • Plus de détails.

 Avec une technique et un niveau de détail accru apparaît une grande passion de Janry : 
les zigouigouis de vêtements déchirés.

C'est comme ça. Avec une plume, les détails, c'est compliqué. (C'est compliqué de faire des petits zigouigoui courbés à la plumes. On a plutôt tendance à faire des petits traits droits, avec des pleins et des déliés, mais droit. Ça tourne mal, une plume. Au contraire d'un pinceau.) Du coup, quand janry se met au pinceau, il commence à rajouter plein de petits détails tout courbés. des petits bouts par-ci, des petits bouts par là.

  • Plus de mouvement et plus de poids.
Avec la plume, on peut faire des pleins et des déliés.

Avec le pinceau on peut faire des pleins et des déliés MAOUSSE ÇA COMME. (Pour faire un délié, il faut appuyer sur la plume. Il est facile de comprendre qu'en appuyant sur un pinceau, on fait des traits beaucoup plus épais encore.)

Cette propriété, Janry l'utilise à toutes les sauces, mais d'abord pour donner plus de mouvement et plus de poids à ses personnages (du poids au sens propre, hein, de la masse, quoi, de la gravité (nan mais de la gravité au sens propre aussi, merde, faites un effort) (du p = mg, voilà)).

La gravité pèse plus, la gravité pèse mieux sur les  habits ou les attitudes de Spirou et Fantasio.


Autant, avant, on avait un peu l'impression qu'ils flottaient dans le décor, dans la case, autant, maintenant, ils semblent avoir les deux pieds bien posés sur le sol, et leurs vêtements tombent plus lourdement (ils flottent moins/mieux, eux aussi). L'ombre sert à marquer là où portent, là où sont posés les objets (le chapeau, la veste, le pied).

  • Plus d'ombres et de volumes.
Alors, là, c'est le changement le plus évident entre les dessins à la plume et ceux au pinceau.

Janry utilise le pinceau pour peindre en noir les ombres des plis des vêtements.

Avant, à la plume, il dessinait juste les plis. Mais, comme les couleurs sont en aplats, pas moyen de dessiner la nuance entre le vert clair du tissu et le vert sombre du tissu sur lequel l'ombre d'un pli est porté. Du coup, l'impression de pli est pas top. C'est comme un pli qui ne plie pas vraiment le tissu. Un pli pour de faux.

Pour pallier à ça, Janry dessine ensuite les ombres en noir.

Du coup, les plis sont mieux marqués, les volumes du tissu apparaissent. Quand on plie un bras, le tissu n'est pas qu'un simple tube de papier, il se déforme de manière souple de plein de façon différentes.


Les ombres et les volumes étaient là, mais mastocs. Elle le sont toujours par la suite, mais beaucoup plus subtiles.

Disons que le Spirou de L'horloger de la comète est une image de synthèse de 1995, 
et le Spirou de La vallée des bannis est une image de synthèse de 2010.

Par les ombres apparaissent les volumes.

Par les ombres des parallélépipèdes apparaissent les volumes des immeubles.

BON, L'INCONVÉNIENT, C'EST QU'IL Y A PLUS DE NOIRS DANS L'IMAGE. TROP DE NOIR TUE LE NOIR. OU AU MOINS ASSOMBRIS L'IMAGE ET EMPÊCHE UNE PALETTE DE COULEURS OPTIMUM.

Sur Spirou et Fantasio à New York (son premier travail au pinceau), Janry feinte en rendant officiellement l'ambiance toute grisou (il pleut tout le temps).


Sur La frousse aux trousses, il essaye d'équilibrer ses noirs par beaucoup de luminosité extérieure (l'action se passe dans le désert d'un simili-Afghanistan), en contrastant encore plus ses images (grosses masses de noirs contre grosses masses de blancs).

Carrément des boules et des carrés qui se baladent.

A partir de La vallée des bannis, il atteint le top du top de la maîtrise de son outil, fait dans le beaucoup plus nuancé, marque toujours les ombres quand il faut, mais n'en rajoute pas non plus, et délègue une partie de la représentation des volume à son coloriste (qui aura droit à son billet juste après celui-ci la semaine prochaine).

 Les noirs ne sont plus là que pour souligner les animaux-boules, la masse de l'arbre, ou le fond du décor 
(le fond du décor en noir, ça donne du volume au décor en lui-même), ou les plis des vêtements, bien sûr.

ON EN ARRIVE AU PLUS CROUSTILLANT.

Janry utilise le noir du pinceau pour représenter les ombres qu'un objet porte sur un autre, et représente ainsi différentes vestes qui se superposent, différentes mèches de cheveux qui se croisent, pour finalement combiner tous ses objets en volume entre eux.

Comme dans l'image précédente, on a droit à des ombres portées, des cheveux-en-noir-dans-le-fond, des traits plus épais 
pour souligner la courbe d'un volume. Toute la palette développée par Janry passe dans ses cheveux.

Après avoir travaillé sur la meilleure représentation possible des volumes, Janry va travailler sur le meilleur enchâssement possible de ses volumes, pour donner de la profondeur au dessin. (Grosso modo, donner du volume a un objet casse l'impression d'aplat de cet objet ; enchâsser différents objets en volume casse l'impression d'aplat global de la case.)

ET C'EST LÀ QU'APPARAÎT L'ULTIME BUT DE JANRY : DESSINER DES FILLES EN MINI-JUPE SEXY.


Elle n'a l'air de rien, la fille en mini-jupe sexy, mais ce sont les noirs qui permettent de représenter ses volumes affriolant. Ce sont les noirs qui lui donnent plus de réalité qu'une simple fille de papier glacé. Ce sont les noirs qui rendent sexy la fille en mini-jupe sexy.

Merci aux ombres d'aider Luna Fatale à nous charmer.

La contre-plongée perverse, oui ; mais la contre-plongée perverse pour représenter les volumes.

TOUT ÇA POUR EN ARRIVER À DIRE QUOI ?

Franquin avait changé d'outil pour arriver à rendre son dessin plus réaliste dans ses textures.

Janry a changé d'outil pour rendre son dessin plus réaliste dans ses volumes.

Franquin en était arrivé à dessiner les bouloches de nos pulls.

Janry en est arrivé à dessiner les multiples enlacements de nos cheveux. (Surtout les cheveux des filles en mini-jupes sexy.)


Les volumes, y a qu'ça d'vrai.