Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 29 octobre 2015

La bande dessinée et ses personnages pas cools.

Lewis Trondheim nous montre que ce qui construit un récit, ce sont des personnages SURTOUT PAS cools.

Lewis Trondheim et Brigitte Findakly, Les formidables aventures de Lapinot - la couleur de l'enfer, Dargaud.

Une fois qu'on a compris que les personnages peuvent se trouver au centre du dispositif dramatique d'une œuvre artistique narrative en permettant la jonction des différentes idées d'un auteur (moi aussi je peux faire des phrases qui calment tout le monde, y a pas de raison), il faut ensuite comprendre ce qu'est un BON personnage permettant de joindre EFFICACEMENT les différentes idées de l'auteur.

Or, en général, un bon personnage, c'est surtout un personnage malléable. Qu'on peut adapter à différentes situations pour justement passer de l'une à l'autre avec souplesse.

Du coup, un bon personnage est un personnage PAS COOL.

PRENONS IRON MAN (DANS LES FILMS).

J'ai des lunettes moches, un bouc bizarre, et un nœud de cravate légèrement desserré. Je suis donc cool.

Iron Man est un personnage idéalisé.

Il est super riche, il est super rigolo, il vit seul dans une très grande baraque, il en a rien à foutre des conventions, il en a rien à foutre des gouvernements, c'est trop un James Dean du XXI° siècle.

SEULEMENT CETTE COOLITUDE EST UN PIÈGE.

Puisque Iron Man se définit par sa coolitude, il y reste figé et ne peut pas en sortir. Il doit éviter toute situation qui le ferait passer pour un mec pas cool. Ce qui revient à dire qu'il doit éviter à peu près toutes les situations du monde qui n'impliquent pas de combattre de gros monstres verts ou violets. Ce qui revient à dire qu'il ne fait rien dans la vie. (Ni aller chez Carrefour acheter des chips, ni se balader dans la rue pour acheter des Mephisto, ni conduire, ni parler à des gens, ni rien).

MAIS COMMENT SE HÉROS FAIT-IL POUR RESTER UN HÉROS ?

Les réalisateurs ont trouvé une solution simple pour conserver la coolitude de Iron Man : ils ont simplement occulté complètement les conséquences des actes du personnage.

Iron Man sauve la planète d'une invasion alien = cool.
Les capitales du monde sont toutes à demies rasées et tous les pays ruinés = pas cool. Bon, bah on a qu'à dire que New York est toute reconstruite au prochain épisode, du coup. (Attendez, les gars, on arrive pas à accueillir vingt mille pélos venus de Syrie, vous croyez vraiment qu'on serait capable de ne pas complètement effondrer notre économie en cas d'invasion alien ?)

Une petite attaque de rien du tout.

Une poursuite de bagnole avec 25 voitures qui finissent à la casse = cool.
Un procès et des amandes en pagaille pour avoir provoqué tous ces accidents et avoir cassé le col du fémur d'une petite vieille = Pas cool. On montre pas.

Alors que pourtant c'est très rigolo, des voitures qui se rentrent dedans.


Un personnage milliardaire qui vit tout seule dans une grande baraque isolée = cool.
Un personnage qui va toute la semaine à son boulot assister à des réunions de comité d'entreprise interminables avec que des discussions ayant comme sujet l'évolution du point d'indice inverse avant de rentrer dans sa baraque certes immense mais pleine de solitude = pas cool. On a qu'à juste parler de l'aspect milliardaire de la chose alors...

Au passage, les films qui arrivent à faire coexister coolitude des personnages et image nuancée
sont toujours les meilleurs. Par exemple : 


OUI, BON, IRON MAN OCCULTE LES CONSÉQUENCES DE SES ACTES. EST-CE QUE C'EST SI MAL QUE ÇA (JE VEUX DIRE, EN DEHORS DE MORALEMENT) ?

C'est là que, dans la vie, il y a deux catégories de personnes : celles qui trouvent que dans le personnage immuablement cool de Iron Man, l'important, c'est qu'il soit cool (et trop gosse beau) ; et celles (comme moi, hein, vous l'aviez compris mais je précise aux deux du fond) qui trouvent que le problème, c'est qu'il est immuable (c'est à dire chiant, prévisible, et narrativement limité).

PAR CONTRE EXEMPLE.

Lewis Trondheim fait toujours de ses personnages des gens pris dans les contingences de la vraie vie. Il insiste bien sur le fait que ce sont de vrais gens qui ont à subir les vraies conséquences (crédibles) de leurs vrais actes (motivés).


Hé ouais, un truc tout con, mais on peut pas forcément foncer dans une grille si facilement.
Ou menacer des gens si facilement.
Ou être un héros tout cliché si facilement.

Cette non-coolitude de la situation (ils se ratent et sont un peu nuls et fuient) permet une action drôle, inattendue, et novatrice. C'est déjà pas si mal. EN PLUS les personnages ne sont justement pas comme Iron Man, ils se rabaissent, et semble plus proches de nous. Cela favorise l'identification.

Lewis Trondheim s'amuse même à confronter ses personnages au fait qu'ils sont des animaux et pas vraiment des êtres humains.


Et, paradoxalement, là encore, cela renforce le réalisme, la crédibilité des situations.

Lewis Trondheim n'essaye pas de suspendre notre incrédulité, comme la plupart des auteurs le font. Au contraire. Il la renforce. Il renforce la crédibilité des actions, des réactions, et des conséquences des actes des personnages. Pas de « on a qu'à dire que c'est facile de défoncer un portail avec une voiture », ou de « on a qu'à dire que le lapin est un être humain ». Non. Tout les choix narratifs sont ensuite assumés avec leurs conséquences logiques.

MIEUX !

Les personnages ne peuvent pas faire un truc sans avoir à réfléchir aux conséquences (ce qu'on fait tous, hein, sauf Iron Man, parce qu'Iron man, il est trop cool, tu vois, il pète des trucs et s'en va dans le soleil couchant pécho Pepper Potts) (ce qui se comprend, ceci dit).

Rahlala, et voilà, on se prend le chou et on arrive à rien. Iron Man, il t'aurait tout pété ça dans la gueule.

On a encore une fois affaire à des nullos qui se ratent (et n'arrivent même pas à fuir, cette fois-ci), pour favoriser cette fois la transition entre deux scènes de manière réaliste, fine et discrète (le temps écoulé durant le transport des prisonniers est réaliste, la volonté de s'évader est compréhensible, l'échec se défend, on est pas tous des super héros qui savons où tirer dans un camion pour qu'il s'arrête).

EN FAIT, SI LE NOMBRE D'ACTIONS D'UN PERSONNAGE DÉFINI EST LIMITÉ, LE NOMBRE DE RÉACTIONS À CE PERSONNAGE EST BIEN PLUS RICHE.

Encore une fois : crédibilité (de situations aux conséquences réalistes), identification (à des personnages plus sympas et plus proches de nous que des demis-dieux), et SURPRISE (c'est toujours bien de se faire surprendre dans un récit, de se dire que l'auteur est plus fort que nous et qu'on ne sait pas où le récit va aller et que ça vaut donc le coup de le lire).

Il l'avait pas vu venir celle là, hein ! Ha ha ! Bin vous non plus.

ON REMARQUERA D'AILLEURS QUE IRON MAN NE DIALOGUE JAMAIS.

Un personnage qui se fait embringuer dans une discussion sans fin pour arriver à vraiment développer ses arguments tout en comprenant ceux de son adversaire = Pas cool du tout, carrément chiant, même.

Un personnage qui balance des punch lines = cool.

IL SE CONTENTE DE BALANCER DES PUNCH LINES À LA CON.

(Pour ceux qui savent pas, les punch lines, c'est comme les one-liners.) (Pour ceux qui savent pas, les one-liners, c'est comme des tag lines drôles.) (Pour ceux qui savent pas, les tag lines, c'est comme des catch phrases courtes.) (Pour ceux qui savent pas, les catch phrases, c'est comme des buzz words en longs.) (Je crois qu'on s'éloigne du sujet.) Je disais donc que les personnages qui balancent des punch lines (des petites vannes courtes qui cassent le personnage antagoniste, coupent court à la conversation, et ne provoquent surtout pas de réaction (mais simplement l'arrêt net de la conversation)), le font pour rester cool et pour éviter toute réaction qui nuirait à sa coolitude.

Ça ne va pas plus loin. Parce que n'importe quelle réaction risquerait justement de les faire sortir de cette pose, et de compliquer / nuancer / complexifier / intensifier le scénario. Et la complexité ! Ha ha ! Non merci.

(C'est une sorte de cercle vertueux : Iron Man est cool parce qu'il balance de la punchline, et, en plus, ces punchlines l'immunisent contre toute non-coolitude extérieure.)

FACE À L'IMMUABILITÉ DU PERSONNAGE IDÉALISÉ, LA FLUIDITÉ DES RÉACTIONS DE HÉROS PLUS HUMAINS.

Les idées trop pures, les personnages trop beaux, sont le piège classique dans lequel ne pas tomber pour que la glu (les personnages) puisse réussir à coller les... euh... punaise, attendez, on va arrêter les métaphores à la con deux secondes pour pas faire de la merde.

Lewis Trondheim donnant un cours de scénario. Il ne faut pas trop s'attacher à un idéal.

A contrario, les personnages moins grands, moins beaux, mais plus humains et plus souples permettent de mieux progresser dans un récit.

Puisqu'on croit à ces personnages, on croit à leurs réactions. Puisqu'on croit à leurs réactions, on croit aux personnages. Puisque leurs réactions sont intéressantes, on veut bien les suivre jusqu'au bout. Puisqu'on veut les suivre jusqu'au bout, on est passionné par le déroulé de l'intrigue.

En sus, les différentes réactions des différents personnages vont permettre de fluidifier, d'articuler, de construire les différentes idées et images constitutives de la dramaturgie.

ENTRE AUTRE, LES PERSONNAGES VONT PERMETTRE :

- D'introduire le récit.

- De le développer et l'épanouir.

- Et même d'improviser sur les bases précédemment construites.

TOUT CE QUE J'ESSAYERAIS DE MONTRER DANS LES PROCHAINES SEMAINES.

Voilà ce qu'on fait aux personnages comme Iron Man dans les bandes dessinées de Lewis Trondheim : 
on les entoure de peinture rose. Ça fait froid dans le dos.

jeudi 22 octobre 2015

La bande dessinée et ses personnages.

Lewis Trondheim nous montre que ce qui construit un récit, ce sont les personnages.

Lewis Trondheim, Les formidables aventures de Lapinot - Pichenette, Dargaud.

L'ERREUR BÊTE.

En bande dessinée comme dans tous les arts narratifs (le cinéma, le théâtre, le roman, les arts qui mettent un certain temps pour se développer), quand on est jeune et fou-fou et qu'on veut dénoncer l'inanité du monde tout en transcendant son prochain en le confrontant au beau, on fait en général toujours la même erreur : on construit son récit autour de bonnes idées et de belles images.

Or, rien de plus débile.

Lewis Trondheim, le vieux briscard, ne fait pas cette erreur : 
il axe un de ses récits sur du caca cerclé de rose. Là on part sur de bonnes bases !

HA BON ? POURQUOI ? SANS VOULOIR TE VEXER, ÇA PARAIT PAS SI ÉVIDENT À DÉMONTRER.

Ce qui crée justement l'intérêt d'un art narratif, c'est de pouvoir agglutiner plusieurs images, plusieurs idées entre elles, pour que l'interaction entre ces différentes idées fassent schboum-là-d'dans, créent des mélanges inattendus, des cocktails nouveaux et savoureux, et que le tout soit supérieur à la somme des parties.

MAIS, DU COUP, PROBLÈME.

Pour former un tout qui maximise l'impact de chacun des éléments qui le composent, ces idées et ces images se doivent d'être retravaillées / modifiées / abandonnées / reprises, pour permettre ensuite d'être collées les unes aux autres.

CE QUI EST TRÈS RELOU ; MAIS NÉCESSAIRE.

Vous avez en tête des tas de belles images et vous ne voulez pas vous faire suer à les retravailler pour en faire un tout ? Super ! Faites un album photo. Vous avez des tas de bonnes idées mais trop peu de temps pour trouver comment les agencer ? Génial ! Achetez donc un bloc de post-it.

SI ON NE RECHERCHE QUE LA BELLE IMAGE.

En général, c'est quand un dessinateur se rend compte qu'il préfère privilégier l'impact d'un dessin à son intégration dans un récit et que « passer sa journée à déformer un dessin super bien chiadé juste pour me faire chier à déformer un second dessin super bien chiadé, juste pour le plaisir de me dire que je raconte des trucs, merci bien. Et puis y a the voice kid ce soir, j'ai pas que ça a faire », c'est à ce moment précis que le dessinateur décide de laisser tomber la bande dessinée et qu'il va plutôt réaliser des couvertures du New Yorker (ou des rébus dans Popi).



SI ON NE RECHERCHE QUE LA BELLE IDÉE.

En général, c'est quand un dessinateur se rend compte qu'il préfère privilégier la précision de son message à son illustration dans le cadre d'un récit que « j'ai un truc à dire et je vais le dire, et le récit, je m'en tape, ça va bien cinq minutes ces enfantillages », c'est à ce moment précis que l'auteur Mandryka se lâchant un tout petit peu avec la Horde, fond un câble et fait un peu n'importe quoi, du n'importe quoi intéressant, hein, du n'importe quoi intelligent, c'est sûr, mais du n'importe quoi qu'on sait pas trop où le mec va, un peu comme quand votre copain commence à vous parler du sens de la vie alors qu'il est trois heures du matin et que vous voulez rentrer chez vous, oui, oui oui, Lacan, oui oui, Freud, mais j'ai sommeil, là.







(Vous avez remarqué que je n'ai pas pris de tocard comme exemple de non-bande-dessinée ; on peut très bien ne pas faire de bande dessinée et faire des trucs supers. Ce n'est pas sale.) (C'est un message que j'envoie aux critiques de télérama, qui croient trop souvent qu'il n'y a que la bande dessinée dans la vie et que tous les autres arts sont mineurs : non, les gars, vous faites fausse route.)

SI ON REJETTE LA NOTION DE RÉCIT.

Je vous vois venir.

Vous allez me dire : « et l'art abstrait » « et la bande dessinée abstraite » « une bande dessinée absconse avec que des trucs qui n'ont rien à voir les uns avec les autres » « ça n'existe pas peut être » ?

JE VOUS RÉPONDRAIS : « DANS LA VIE, IL FAUT CHOISIR ».

On a bien le droit de faire des bandes dessinées abstraites, hein. On vit dans un pays libre. Nos grands-parents sont morts pour ça (pour ça, et pour avoir du wifi gratuit dans les starbucks). Dans ce cas-là, on peut réaliser de belles images qui ne s'inscrivent pas dans un ensemble ; on peut décrire de belles idées, isolées, sans continuité avec ce qu'il y a avant ou après.

C'est possible mais c'est peut être aussi pour cela que l'art abstrait est si peu présent en cinéma, en bande dessinée ou dans les romans (j'ai dit « art abstrait », pas « art imbitable », Jean-Luc Godard et James Joyce ne comptent pas pour des auteurs abstraits).

Parce que ce qu'on y gagne en beauté fulgurante pure, on y perd en cocktail inattendu, en « 1 + 1 = 3 », ou même en « 1 + 1 = 1000 » si l'auteur est particulièrement doué. Et donc, apparemment, pour l'instant, à l'heure de l'histoire de l'art qui nous occupe, presque tout le monde semble être d'accord pour dire qu'il vaut mieux tenter le coup du « 1 + 1 = 1000 » que de la beauté pure (raconter des histoires plutôt que d'agencer des images chelous à la queuleuleu).

Lewis Trondheim, lui même, quand il décide de faire de l'abstrait, bin il n'en fait pas. 
Il garde des formes qui font des trucs. Il continue à travailler sur des enchaînements de cases. Il raconte encore des histoires.

(Ou alors tous les auteurs de bande dessinée, et réalisateurs de cinéma, et romanciers sont de gros tocards ; c'est vrais que c'est une possibilité finalement assez crédible (spéciale dédicace aux bandes dessinées sur les rugbymen qui fleurissent en ce moment) (et aussi à Guillaume Musso) (parce que ça fait toujours du bien de dire du mal de Guillaume Musso).)

LEWIS TRONDHEIM, JUSTEMENT.

Ouais, parce que c'était lui, le sujet de la chronique à la base.

LEWIS TRONDHEIM NE MANGE PAS DE CE PAIN LÀ.

Lewis trondheim, dès le début de sa carrière, a travaillé sur l'enchaînement des cases plutôt que sur leur joliesse, l'articulation des idées plutôt que leur impact direct.

Lewis Trondheim et Jean-Christophe Menu, Moins d'un quart de seconde pour vivre, l'Association.
Presque plus de dessins, une seule idée, et on travail sur l'enchaînement des cases.
Bon, c'est un peu, euh... dépouillé, on va dire. Ça fait pas mal exercice de style. Mais le but est atteint.



En ce sens, Bleu (publié chez l'Association en 2003) peut être vu comme un back to basic de Trondheim
Peu de dessins, Peu d'idées, mais un travail constant sur les enchaînements entre cases.

LES BEAUX DESSINS, C'EST POUR LES NULS.

Au début, cette méthode a été définie en réaction à une certaine mode des années 80, un peu trop chic et choc, et qui s'attachait justement plus à la jolie image qu'au contenu bien huilé.

Et par  « belle image », il faut bien entendu comprendre  « meuf à gros nichons ».

Mais, assez rapidement, Lewis Trondheim a cogité, a réfléchi, a formalisé, a écrit une bande dessinée de 500 pages au nom de lapinot et les carottes de patagonie d'abord un peu au pif et ensuite de plus en plus structurée, et en est arrivé à définir une technique.

CETTE TECHNIQUE, ELLE EST SIMPLE :

Vous voulez coller entre elles des images et des idées pour faire une belle bande dessinée ?

Et bien, cette colle, c'est pas bien compliqué, ce sont les personnages principaux de votre récit.


Lewis Trondheim, lui, a écrit un Lapinot au ski, Lapinot cow-boy, Lapinot au XIX° siècle.
Le personnage ne change pas de caractère (ni ses amis autour de lui), mais tout le reste change.




Par exemple, Richard, le gentil débilou regressif, reste le même d'une aventure à une autre. 
Ce n'est pas exactement le même personnage, il voyage pas dans le temps, mais il conserve toujours le même caractère. 
Il réagit toujours de la même manière à des situations simplement plus variées.


Ce qui agrège l'ensemble de ces récits et de ces thèmes et de ces styles, ce sont les caractères des personnages.

(On remarque d'ailleurs que, chez Sempé, le personnage n'existe pas vraiment, il n'est qu'une composante du dessin ; et que chez Mandryka, le personnage n'existe pas en tant que tel et n'est qu'un émissaire du discours de l'auteur.)

ET CETTE TECHNIQUE N'EST PAS LIÉE UNIQUEMENT À LA BANDE DESSINÉE.

Un bagnard s'évade. Une fille-mère se prostitue. Un policier poursuit sa cible dans toute la France. Un tenancier d'Hôtel participe à la bataille de Waterloo. Un ancien royaliste devient révolutionnaire. La description des bas-fonds de Paris. Une histoire d'amour entre le révolutionnaire et la fille de la prostituée.  Le fils du tenancier d'hôtel. La révolution de 1830. Aucun de ces éléments n'est cohérent avec un autre, mais, pourtant, Victor Hugo arrive à faire tenir tout ça ensemble grâce au personnage de Jean Valjean.

Je ne comprends personnellement pas grand-chose à Ulysse de James Joyce, mais j'ai quand même compris que l'histoire tournait autour des pensées de Leopold Bloom lorsqu'il est confronté aux menus affres de sa vie.

SEULEMENT, MINUTE PAPILLON, CE N'EST PAS SI SIMPLE !

Je suis bien d'accord pour dire qu'il est possible d'agglutiner tous les éléments possibles et inimaginables entre eux. Seulement, ensuite, il faut un minimum de boulot pour que tout ces éléments s'emboîtent les uns dans les autres de manière crédible.

C'EST CE BOULOT QUE J'ESSAYERAIS DE DÉTAILLER LA SEMAINE PROCHAINE.

Ouais, quand on se met à assembler des idées un peu trop hétérogènes, ça dérape.

jeudi 1 octobre 2015

La bande dessiné radote

Fabcaro nous montre que la répétition ne sert pas qu'à cacher ses intention au lecteur, mais également à créer l'ironie, la satire, l'absurde, et la rigolade.

Fabcaro, Zaï Zaï Zaï Zaï, éditions 6 pieds sous terre.

(J'ai appris avec effroi que certaines personnes en France n'avaient pas encore lu Zaï Zaï Zaï Zaï

je m'en vais donc blinder ce post d'extraits, pour bien montrer aux gens à quels point ce livre est trop le lol du rigolo.)

Par exemple, là, au-dessus, bon, déjà, on se bidonne, donc c'est pas mal. Mais, en plus, on est un peu dans la même ambiance que chez Forest : les personnages ne bougent pas parce que les personnages sont chiants. On voit très bien, par la répétition systématique de la case que le mec s'habille en marron aussi dans sa tête : c'est un mec chiant. Sa vie est répétitive, sa scène aussi.

AU PASSAGE : NOTONS UNE CHOSE.

Alors que les deux personnages ont les mêmes postures durant toute la scène, Fabcaro se fait suer à redessiner toutes ces cases. Il ne les photocopie pas. Il ne copie/colle pas. Pourquoi s'embêter ainsi ?

À CAUSE DE CORTO MALTESE.

On a vu dans le billet précédent Hugo Pratt photocopier le même dessin parce que dessiner toutes les cases de son bouquin, c'est bon pour les petits jeunes, pas pour lui, un grand artiste interviewé dans télérama pour rendre l'aspect statique de l'objet dessiné (un bas relief maya).

Dans la répétition iconique, c'est un peu le risque : photocopier un dessin donne l'impression que le type dessiné ne bouge vraiment vraiment VRAIMENT pas. Et le lecteur a plus l'impression qu'il a affaire à un bas relief qu'à un vrai personnage. Au mieux, ça fait ressortir le systématise du procédé, ça perd en spontanéité, ça perd en vie ; on a l'impression de se retrouver face à un discours avec un dessin mis là pour faire joli mais sans aucun intérêt. Au pire, on a l'imprécision que les persos sont des statues, et l'histoire perd tout sens.

Donc, pour éviter ces écueils, Fabcaro redessine toutes ces cases.

S'il ne le faisait pas, ça donnerait ça :

Alors, est-ce que j'ai raison ou est-ce que je raconte n'importe quoi ? Le suspense est à son comble. Qu'en pensez-vous ?

Dans la précédente version, les personnages bougent un chouille, on a l'impression qu'ils se dandinent d'un pied sur l'autre, qu'ils dodelinent un peu. Par contre, moi, je trouve que cette nouvelle version, avec un unique dessin copié/collé 5 fois, fait ressortir le procédé. Comme c'est la seule chose qui change, on a l'impression que c'est le texte qui est important, et rien d'autre. Le dessin est à peine là pour nous donner une idée du look des personnages.

Au final, cette nouvelle version est à peu près equivalente à celle-ci : 


On a un vague dessin pour se faire une idée, et ensuite tout le texte qui prend une importance prépondérante.

LE RISQUE DU TEXTE FORT.

Ce n'est pas un hasard si le texte peut prendre trop d'importance dans une bande dessinée en répétition iconique.

La répétition iconique est utilisée par l'auteur pour se couvrir et faire des surprises au lecteur.

Et, en fait, en bande dessinée, le texte est également utilisé précisément pour la même raison.

C'est exactement comme le petit-suspense-de-fin-de-page. Pourquoi il y a des petits-suspenses-de-fin-de-page alors que le bouquin n'a pas était publié dans un journal et que ces suspenses ne servent à rien ? Parce que c'est un outil très pratique pour que le ou les auteurs contrôlent un peu le lecteur, rythment un peu la lecture, organisent un peu le récit.

Et pourquoi il y a sans arrêt des textes en bande dessinée ? Je dis pas qu'il ne devrait pas y avoir que des bandes dessinées muettes, mais quand même, on sait que ça existe, on sait que ça marche, alors pourquoi une telle prépondérance des bandes dessinées à texte ? Parce que c'est un autre outil très pratique pour que le ou les auteurs garde contrôlent leur récit.

ACTION, RÉACTION, ANTICIPATION.

Au contraire des dessins, le texte, dans une bande dessinée, ne peut pas être survolé, lu d'un oeil vague en tournant la page. Les dessins seront anticipés. On saura vaguement ce qu'il arrive aux personnages durant la prochaine double-page. Mais on ne saura pas ce qui s'y dit.

Le texte devient une part incoercible d'inconnu dans la dramaturgie de la bande dessinée.

Le texte devient une des motivation du lecteur. « Ok. Je sais à peu près ce qui se passe, mais je ne sais pas ce que les personnages en disent, je vais donc lire cette double page pour l'apprendre. »

En bande dessinée, parler est une action primordiale. Parce que, parler, c'est créer du suspense.

Si nous comparons les deux pages suivantes du Lotus Bleu :



Hergé, Le lotus bleu, Casterman.

La première est bourrée d'action ras la gueule, et avec très peu de texte. La seconde est blindée de texte et il ne s'y passe rien (on est d'ailleurs très proche de la répétition iconique : Tintin et un chinois sont dans une pièce et ne bougent pas) (on dirait le début d'une blague raciste des années 90).

Et bien, paradoxalement, c'est dans la seconde page que le suspense est le plus fort. C'est dans la seconde page qu'on ignore ce qui se passe et que l'on doit absolument lire toute la page pour l'apprendre. C'est dans la seconde page qu'on est le plus surpris par la situation. Et c'est dans la première page que l'on a le suspense-de-fin-de-page le plus fort, pour ré-équilibrer les débats (d'un côté peu de suspense durant la page, gros suspense à la fin ; de l'autre côté, c'est l'inverse).

TOUT ÇA POUR DIRE QUOI ?

Le risque, dans la répétition iconique, c'est qu'on se moque un peu du dessin. Ok, il y a un système de dessin qui permet de faire des surprises au lecteur. Super. Mais il y a quand même surtout moins de dessins que d'habitude, ce qui est moins pratique pour faire progresser son récit. L'auteur aura donc tendance à privilégier le texte pour faire avancer son schmilibi schmibiti schmmlibli sa structure dramatique.

ET, ÇA, C'EST PAS BIEN.

C'est un appauvrissement des possibilités offerte, donc : « bouuuh ».

Fabcaro est conscient de ce risque de prise de pouvoir du texte sur le dessin. Fabcaro est un démocrate. Fabcaro va essayer de rendre le l'importance au dessin.

Il le fait de deux manières.

EN RENDANT LE DESSIN ABSURDE.

De cette manière, même un bref survol ne suffit pas à ce que l'on comprenne ce qui se passe dans la page.


EN RENDANT LE DESSIN FEINTEUX.

En se foutant gentiment de notre gueule jouant avec le médium, Fabcaro va, en quelque sorte, nous tenir éveillé, nous dire que, hein, c'est pas si simple, tu croyais que le dessin avait pas trop son importance, tu croyais avoir compris comment ce bouquin allait fonctionner, tu croyais avoir tout compris, hein, petit génie, et bin bim :

EN UTILISANT UNE TROISIÈME IDÉE.

Mais tu avais dit qu'il y en avait deux.

OUI MAIS EN FAIT IL Y EN A TROIS.

Mais tu avais dit qu'il y en avait deux !

OUI MAIS J'AI MENTI.

La troisième idée n'est pas vraiment neuve, et n'ai pas spécifiquement utile dans le cadre de la répétition iconique, mais son effet est quand même pas mal accru dans ce cadre là.

Il s'agit de faire des dessins subtils.

HA BAH OUI, ALORS, TOUT DE SUITE, S'IL FAUT ÊTRE SUBTIL ! ON N'EST PAS SORTI DU SILO À GRAIN.

Une des dernières méthode pour se couvrir par rapport au lecteur (si pas la dernière méthode) (si pas la the utlimate mother fucking méthode de ta mère), c'est de faire un dessin tout en subtilité. De cette manière, le grand-survol-d'avant-lecture-précise-de-la-double-page ne permet pas d'anticiper sur les actions contenues dans cette double page, ou tout du moins ne permet pas d'anticiper sur ce qu'il y a d'important dans cette double page, parce que ce qu'il y a d'important, c'est un sourcil levé, un sourire en coin, des gros yeux. Et encore ! C'est même pas ça ! L'important, c'est les très gros yeux d'une case, et les très gros yeux mais un peu plissés de la suivante. bref, l'important est alors imperceptible à un premier survol avant lecture.

Bien sûr, à ce moment là, faut être super balèze, et super maîtriser son dessin. Être un vrai cador de sa profession, quoi. 

Par exemple, au hasard :



Jérôme Anfré (ça arrive d'avoir des homonymes, ne vous formalisez pas comme ça), Hans, Delcourt.

Le poids du récit réside dans le strabisme de Hans dans la dernière case, par exemple. Va anticiper par un survol léger de la page un léger strabisme.

Cette attention aux détails permet de donner pleinement son importance au dessin, tout en se couvrant par rapport au lecteur.

ET DONC, FORT LOGIQUEMENT, FABCARO UTILISE AUSSI CETTE MÉTHODE.


Ici, Fabcaro joue justement sur ce risque de statisme, qui priverait les personnages de vie. Alors, il le fait, ok, mais c'est pour la bonne cause, puisque, en contraste, le sourire des deux petits vieux paraît beaucoup plus fort sur la fin.

Dans cette planche, Fabcaro a utilisé la répétition iconique pour rendre l'aspect répétitif, ridicule et embêtant de l'interview, couvrir encore et toujours son sujet et surprendre son lecteur, et accroître le gag de chute et son contraste par rapport au reste de la scène tout en restant couvert.

Fabcaro a utilisé la répétition iconique pour jouer avec nous.

ET, JOUER, C'EST RIGOLO.