Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


samedi 18 avril 2015

La bande dessinée raconte de multiples histoires toutes petites.

Jérôme Anfré (aucun lien de parenté) nous montre qu'il a tout compris aux personnages mignons.





Jérôme Anfré (je ne connais cet homme ni d'Eve ni d'Adam), Hans, Delcourt.

Il y a un dernier truc avec les schtroumpfs : ils sont tout petits.

Or, comment dessiner de tout petits lutins dans de si grandes pages ? C'est bien compliqué. Dans une certaine mesure, il faut garder la taille des personnages à une échelle raisonnable et proportionelle. Les petits personnages doivent rester petits dans la page, comme les grands personnages doivent rester grands dans la page, et les cochons seront bien gardés.

C'est pour ça que, dans Big Man, le grand homme en question apparaît dans un album plus grand que la moyenne dans des cases plus grandes que la moyenne.




Big Man (de David Mazzuchelli) (éditions Cornélius), il est big. 
Avec des bigs cases, et un big format (23 par 32 centimètres).

C'est pour ça que, quand les schtroumpfs ont eu droit à leurs propres aventures, ils sont apparus dans des livrets plus petits que la moyenne, dans des cases plus petites que la moyenne.

(Les schtroumpfs ont connu leurs premières aventures dans des « mini-récits » à monter soi-même (il fallait détacher les feuilles centrale du journal de Spirou, plier et couper ces feuilles en 9, et ça formait un petit livre miniature.) (Aussi miniature que les schtroumpfs.)




Les schtroumpfs (de Peyo) (éditions Dupuis) (et édition Niffle), ils sont schtroumpfs.
Avec des schtroumpfs cases, et un schtroumpf format (10 par 7 centimètres).

Et c'est pour ça que, quand les schtroumpfs ont eu droit à leurs propres aventures en vrai dans le magazine Spirou (en grand A4 comme les grands), ils l'ont quand même fait dans des cases plus petites que la moyenne. Tout ça est resté ma fois très cohérent.

La version mini-récit, publiée en 59.

Et la version album, publiée en 63.

(Notez que je fais un effort notable de mise à l'échelle pour que vous vous rendiez compte des différentes tailles et que vous vous niquiez les yeux sur votre écran.) (Notez également qu'il y a 5 strips/bandes dans la page de 1963, au lieu des 4 habituelles dans les albums Dupuis de l'époque, tout ça pour faire de plus petites cases et de plus petits schtroumpfs.)

(Notez finalement que le livre dont nous allons parler aujourd'hui (Hans, de Jérôme Anfré, une personne que je ne fréquente que très rarement, finalement) est également un petit format (15 par 21 centimètres).

Bon. OK. Super. Mais maintenant qu'on se retrouve avec de petites cases, comment on les utilise ?

D'abord, en bande dessinée, l'espace d'une case, c'est du temps. Plus une case est petite, plus le temps y est bref. Donc, les schtroumfps évoluant dans des cases toutes riquiquis, et bien il se passe presque rien dans une case, un simple instant.

Dans une petite case, on n'a que le temps de crier (c'est d'autant plus poignant).

Premier avantage : si le temps dans une case est court, le temps entre chaque case peut être tout aussi court. On peut donc enchaîner les cases très rapprochées dans le temps, avec d'infimes variations entre elles, des variations qui ressortent d'autant mieux que les images se succèdent à grande fréquence.

Chaque case dure un instant (un instant du saut), et le temps très court utilisé par Jérôme Anfré (écoutez, ça m'étonnerait que je fasse du copinage, j'ai une éthique, je donne au téléthon) entre chaque case permet de découper ce saut.

On se surprend donc à scruter, à mieux regarder chaque dessin, pour discerner les infimes variations de celui-ci. On devient plus attentif, on le décode mieux, on le comprend mieux. Et avec le dessin, le personnage que décrit ce dessin. On arrive à décrypter la moindre de ses mines, le moindre de ses gestes. On le connaît mieux, on s'en rapproche, on le comprend, comme un ami.

Quand on connait tout de la bouille de quelqu'un à son réveil, 
c'est que c'est soit un ami, soit un membre de la famille.

L'empathie fonctionne à fond les bananes.

Deuxième avantage : si le temps dans une case est court, le temps entre les cases peut être long.


On passe ainsi d'une scène aquatique à une scène forestière, pouf, en un battement de case.
Quel talent ce Jérôme Anfré (je suis sûr que sa famille est très fière de lui) !

Ce qui revient à dire qu'on fait ce qu'on veut.

Un coup on enchaîne des tas de cases rapides pour décrire le comportement d'un personnage, histoire d'accrocher le lecteur au personnage. Un autre coup, on fout de grandes ellipses entre deux cases, histoire d'accélérer le récit et d'enchaîner les situations différentes. (Du coup, les situations ne sont pas répétitives, le lecteur n'a pas le temps de s'habituer à un type de récit qu'on est déjà passé à un autre).



Jérôme Anfré (écoutez, je nirai toute relation antérieure avec cette personne, de toute manière) peut ainsi enchaîner une séquence très découpée, et courte avec une ellipse d'une nuit, avec une action-surprise, pour finir sur une case « instant figé ».

Toutes ces ruptures de ton, ces accélérations et décélérations, permettent de rendre l'action toujours inattendue et vive.

Or, le récit, ce sont les actions du personnage. Ce sont donc les actions du personnages qui deviennent inattendues, difficilement anticipables. C'est donc le personnage qui devient plus profond, mystérieux, insondable (inattendu, quoi, je vais pas le répéter 36 fois). C'est donc le personnage qui parait plus vrai, devient plus réaliste, plus réel. (La différence entre la fiction et le réel se joue là : la fiction, on comprends souvent où elle va ; le réel, on n'y comprend rien, et on ne sait pas du tout où on va ni comment) (C'était ma petite pause : « leçon de vie ».) (Du coup, quand un récit est difficilement décodable, difficilement anticipable, il dégage une plus forte impression de réalité).

Bref : quand très peu de temps se passe entre chaque case, on s'attache au personnage, quand beaucoup de temps se passe entre chaque case, on a l'impression que ce personnage vie des tas d'aventure différentes. Quand on alterne les temps entre case, le personnage nous parait non seulement attachant et aventurier, mais en plus presque réel.

Et c'est sans compter que ce personnage est petit !

Parce que, qui dit petit dit mignon ! (Enfin, plutôt, qui dit petit, dit touchant.)

Tout aussi mignon qu'une vidéo de chaton mignon qui fait une sièste.

Là, arrive la dernière subtilité d'un récit avec des petits, c'est qu'avec des petits, il faut qu'il y ait des grands, sinon ça n'a strictement aucun intérêt.



Même Gargamel, quand il devient petit, devient inoffenssif et touchant. C'est dire !

Le petit, face au grand, se sent menacé (un peu comme moi face à Teddy Riner). Le petit, face au grand, se sent impuissant (un peu comme moi face à the Rock). Le petit, face au grand, se sent dépassé (un peu comme moi face à la vie) (c'est beau, ce que je dis, j'espère que vous prenez des notes).

Le petit se sent aussi peu sûr de lui que nous face au grand et vaste monde qui nous entoure. C'est juste qu'il est encore plus petit, donc, a priori, encore plus menacé (il peut être menacé par un écureuil, alors que moi, franchement, je veux pas me vanter, mais les écureuils ne me font pas peur).

Mais son combat est le même que le nôtre : lutter pour se trouver une place dans ce monde. Et ses victoires sont aussi dérisoires que les nôtres : réussir à cueillir une mûre / réussir à chopper la dernière barquette de six portions de boursin du supermarché, parce que 12, ça fait trop, et ça va périmer dans le frigo, et que le tartare, c'est dégueulasse.

Fight da powa !
(ou, en VF : Résiiiiiste prouve que tu exiiiiistes !)

Bref, l'empathie marche à fond. Non seulement on arrive à décrypter et comprendre les moindres mimiques du personnage grâce au découpage de la bande dessinée, mais on comprend également sa situation, simplement parce qu'il est tout petit (et que nous aussi).

Mieux encore, on s'identifie aux luttes, aux aspirations, à la vie de ce personnage qui sont les nôtres (de luttes et d'aspirations) (faut suivre). (Bah comment ça « c'est écrit avec les pieds ton truc » ? C'est pas une excuse.)

On s'identifie à ce personnage, donc. Et ses mimiques, toutes ses expressions que nous avons appris à connaître et à interpréter nous deviennent encore plus familières. Puisqu'il ressent en fait les mêmes sentiments que nous faces aux mêmes situations que nous. (C'est pas un oiseau qui nous pique une mûre, c'est un connard à gourmette et tatouage de foot qui nous pique la dernière barquette six portion de boursin, mais bon, c'est pareil, franchement. On comprend complètement ce petit personnage.)

Fight da condition humaine !

Le lien d'empathie est renforcé et nous vivons parfaitement les pensées du petit personnage puisque ce sont en fait des souvenirs de nos propres pensées lorsque nous avons été confronté à une situation similaire à la sienne.

Finalement, lorsque le petit personnage est confronté à la vanité de ses actions (escalader un arbre ça va, on sait faire) (enfin, presque) (en tout cas, ça nous fait pas peur) (enfin, presque) ou à la futilité de ses désirs (se battre pour une mûre, franchement) (est-ce qu'on se bat au bureau pour savoir qui doit recharger l'eau de la cafetière, nous ?), c'est nous qui sommes confrontés à nos propres vanités. À nos propres sentiments de futilités tels que nous les avons ressentis dans nos propres vies.

Et, au final, c'est le plus petit des personnages de la forêt qui nous renvoie le plus grand des miroirs métaphysiques de notre condition.


jeudi 9 avril 2015

La bande dessinée schtroumpf de multiples histoires en même schtroumpf.

Peyo nous montre qu'il maîtrise aussi bien l'ensemble des types de récits, que la mise en abîme de ces récits.

Peyo et tout ses amis, Johan et Pirlouit : la flûte à six schtroumpfs, Dupuis.

ET POUR COMMENCER, DISONS DU MAL.

Peyo n'est pas un dessinateur de génie comme la plupart de ses collègues au pinceau léger, au poignet souple et à l'imagination débridée. Il est un besogneux. Il a eu besoin d'un long travail pour arriver à maîtriser son trait et, jusqu'au bout, il a eu besoin d'un long temps pour accoucher d'une page (délaissant même le dessin sur la fin pour se concentrer sur les histoires, les structures, les idées).

Picasso, enfant, dessinait comme un adulte, et il a mis toute sa vie à dessiner comme un enfant.
Hé bin Peyo était plus fort, Peyo, dès ses 17 ans, il dessinait comme un enfant.

Petite pause anecdote : en 1945, Peyo rentre à la CBA (Compagnie Belge d'Actualité) pour faire des dessins animés. Il y rencontre Franquin, Morris et Eddy Paape. En 1946, le studio ferme. Franquin fera entrer Peyo au journal Spirou en 1951.

On voit sur cette image le dessin encré de Peyo et les correction/suggestions de Franquin au crayon.

Avec un dessin ici de ce que ça aurait du donner en moins maladroit :



Ce qui nous rappelle quand même fortement d'autre petit lutins qui arriveront bien plus tard.


La création des schtroumpfs partait de très loin. 
(Et même une fois ceux-ci définis, ils ont continués à évoluer jusqu'à arriver à une version d'une terrible efficacité.)

BREF, PEYO, C'EST UN GALÉRIEN.

À ses débuts dans Spirou, il arrive toutefois à maîtriser son dessin en le rendant le plus simple possible (et puis aussi parce qu'il s'est acharné à s'améliorer entre son départ de CBA et son arrivé dans Spirou).


Au début, le trait était très épuré (en général, on dit « épuré » pour rester poli et pas dire « vide ») ( c'est important, la politesse, dans la vie) ; avec le temps, Peyo a pris  confiance en lui  et a densifié ses cases (en standardisant son dessin).


On voit la différence entre un Johan errant dans les couloirs d'un château en 1957 (dans la flèche noire) et un Johan errant dans les couloirs d'un château en 1967 (dans le sortilège de maltrochu) (plus de détails différents, moins de caillasses grises et de masses noires) (si on compare les dernières cases des deux pages, c'est très net).

De même, le style de Peyo-et-tout-son-studio va arriver à stabiliser certaines solutions trouvées à force de dessins. Les mains, par exemple, vont finir par être dessinées toujours dans les mêmes pauses.

     


Les mains de Pirlouit avant (57) (au-dessus) et après (67) (au-dessous).
Peyo cherchait à dessiner ce genre de main et, petit à petit, à trouvé comment le faire au mieux de ses goûts. 
À partir de là, toutes les mains auront la même tête (enfin, vous me comprenez)...

Mieux encore, une fois ce style bien défini, il va essayer de le pousser à son maximum pour en tirer la substantifique moelle.

(J'avais déjà évoqué tantôt le fait que certains dessinateurs essayent sans arrêt de changer, d'explorer de nouvelles voies, tandis que d'autres creusent toujours le même sillon, pour le creuser de mieux en mieux et obtenir le plus beau des sillons. Franquin était dans la catégorie des créatifs qui changent de technique et de type de récit comme de chemise. Hergé faisait partie de la deuxième catégorie, celle des perfectionnistes (tellement perfectionniste qu'il ira jusqu'à redessiner la quasi totalité des ses oeuvres antérieures à 1942 grâce à un studio). Hé bien Peyo se trouve dans la même catégorie que Hergé. (Il s'y trouve tellement qu'il ira jusqu'à redessiner les premières aventures des schtroumpfs en s'aidant lui aussi d'un studio.))

Comparaison du récit des schtroumpfs noirs entre sa parution originale sous forme de mini-récit en 1959 
et sa parution redessinée pour les albums en 1963.

Bref, dans la démarche de Peyo, il faut essayer de trouver la meilleure manière de représenter un personnage, la stabiliser, et ensuite la reproduire encore et encore. Ce qui est, pour lui, pour qui rien n'est facile, un long processus.

ET C'EST LÀ QU'INTERVIENT L'IDÉE DE FEIGNASSE.

Pourquoi s'embêter à inventer les physiques de trouzemilles personnages différents (Johan, Pirlouit, biquette, le roi, etc, etc) quand on peut ne le faire qu'une fois (on arrive à dessiner un schtroumpf, et ensuite on ne se prend plus la tête, on dessine autant de schtroumpfs différents qu'on veut) ?

(Petite pause anecdote de rechef : quand il a fallu trouver le look de la schtroumpfette, Peyo ne se satisfaisait tellement de rien qu'il en a frôlé l'insomnie. (Il est dit que ce fut Franquin qui le convainquit de choisir un de ses croquis, et que Peyo le fit à contre-coeur.) (Alors imaginez si Peyo avait eu à changer le look de 100 schtroumpfs ! Il aurait fini la tête dans le four, le pauvre.))

Alors que là, ça va, c'est carré.

BON, MAIS C'EST BIEN BEAU TOUT ÇA MAIS REVENONS À DE LA PSYCHOLOGIE DE COMPTOIR.

Ce que je voulais dire était que, pour Peyo, le métier d'auteur de bande dessinée n'a rien de facile. Qu'il en chie. Et que reproduire encore et encore les mêmes personnages n'est pas une chose aisée pour lui. Une situation qui l'a amené à vouloir se simplifier la tâche réfléchir profondément à son art. Ce qui a abouti, un soir, comme ça, à l'idée des schtroumpfs ; ces petits bidules bleus tous semblables.

Comme si toutes les différentes représentations d'un personnage contenues dans toute les cases d'une bande dessinée étaient amenées à se côtoyer au même endroit.

LES SCHTROUMPFS SONT UNE ALLÉGORIE DE LA BANDE DESSINÉE.

Attention ! Je ne dis pas que c'est une allégorie consciente. Que Peyo l'a fait exprès. Je n'en sais rien et je m'en fous. Je dis que le travail de représentation et de reproduction d'auteur de bande dessinée a suffisamment tapé sur la carafe de Peyo pour que celui-ci ait eu cette idée biscornue : la reproduction des mêmes personnages à l'infini

C'est la manière même de la bande dessinée qui a fait naître l'idée des schtroumpfs. 

Des schtroumpfs, partout, tout le temps, à toutes les cases, à tous les étages.

DE LA MÊME MANIÈRE, AVEC LE MOT « SCHTROUMPF ».

Pour choisir la forme de la schtroumpfette, Peyo se paye trois mois d'insomnie, des crises de larmes, fume trop, et frôle l'infarctus quatorze fois.

Imaginez un peu l'état d'esprit du mec quand il faut commencer à la faire parler. À côté de ça, Diên Biên Phu, c'est rien du tout. De la même manière qu'il faut trouver le dessin le plus juste, il faut trouver le dialogue/monologue le plus précis. Mais le pire, c'est qu'une fois trouvé le personnage, on a plus qu'à le redessiner encore et encore, alors que ce qu'il dit, ça change tout le temps !

L'ENFER A UN NOM ET IL S'APPELLE SCHTROUMPF.

Alors là : deuxième coup de génie. 

Plutôt que de se faire suer à toujours trouver le mot juste, pourquoi ne pas remplacer tout les mots par un seul ? Peyo a déjà bien remplacé tous les personnages par un seul ? Pourquoi pas les mots ? (Et en plus c'est très pratique pour contourner la censure qui a peur que l'on trouble notre jeunesse avec des dialogues holé-holé.)

Quelle aurait été la carrière d'une groupe appelé schtroumpf ta mère ?

ET CE QUI FUT DIT FUT FAIT.

Là encore, je vous vois venir et je dis attention ! Bien sûr que le mot schtroumpf n'est pas employé à tort et à travers et qu'il veut dire quelque chose d'assez précis dans le contexte de chaque dialogue et que le grand jeu est de deviner quel est le mot derrière le schtroumpf.

Le langage schtroumpf, c'est schtroumpf.

Mais c'est la manière même de créer une bande dessinée (trouver des trucs à faire dire à ses personnages et meubler) qui a généré cette idée du schtroumpf. Autant schtroumpfer au lieu de meubler.

BANDE DESSINÉE, TON NOM EST SCHTROUMPF !

Le schtroumpf a beau n'être qu'un petit bidule bleu, il est avant tout une schtroumpf très fine et profonde sur la bande dessinée et son système de représentation. (Mais il faut peut être schtroumpfer un peu les multiples rouages de la bande dessinée pour schtroumpfer ce schtroumpf.) (Quand un schtroumpf analyse les schtroumpfs sous l'angle de la communauté indiscernable-et-donc-forcément-fasciste-et-stalinienne-y-a-pas-une-tête-qui-dépasse, c'est simplement qu'il ne schtroumpfe pas les schtroumpfs dans leur globalité.)

(Bon, et puis, ne nous schtroumpfons pas la schtroumpf : les schtroumpfs qui parlent tous en schtroumpf, c'est aussi et surtout très rigolo.)

Regardez donc tous ces schtroumpfs (ceux à droite), tous pareils, tous militaires. 
Est-ce que ce n'est pas l'exemple même d'un état fasciste ? Ou stalinien ? Ou les deux ?

Sauf que juste après cette scène avec des petits schtroumpfs identiques comme une armée de clone du côté obscur...

...On a droit à un désamorçage de la situation grâce à l'humour schtroumpf.

(Donc, pour aimer les schtroumpfs, il faut soit schtroumpfer la bande dessinée, soit schtroumpfer rigoler, soit les deux. Avouez que ça fait plutôt un spectre large.)

TOUT ÇA POUR SCHTROUMPFER QUOI ?

J'ai déjà dit que, a priori, quelle que soit la personne qui lit les schtroumpfs, elle va y trouver quelque chose qui lui plaise.

Que ce soit un type d'humour (et les schtroumpfs ont pleins de types d'humours différents), un type de récit (et les schtroumpfs entrecroisent plein de types de récits différents), ou encore une sorte de mise en abîme de la bande dessinée et de son système de représentation (et a priori, si vous lisez de la bande dessinée, c'est que vous n'êtes pas complètement imperméable à ce medium).

MIEUX ENCORE !

Dans quelque contexte que se trouve la personne qui lit les schtroumpfs, elle va y trouver quelque chose qui lui plaise.

Nous ne lirons jamais deux fois un récit des schtroumpfs de la même manière. Entre deux lectures, notre humeur aura changé, nous serons devenus plus intelligents ou plus bêtes, nous aurons perdu notre emploi ou gagné au loto, nous serons intéressés par des réflexions réflexives sur la bande dessinée  ou pas, il sera trois heures du matin et nous serons tout bourré, ou il sera quatre heures de l'après-midi et on lira les schtroumpfs avec un enfant.

Bref, le contexte changera. Et les schtroumpfs épouseront ce contexte.

MIEUX QUE MIEUX ENCORE !

Les schtroumpfs vont participer à cette souplesse du récit.

Dans Tintin, les rôles sont bien définis : les Dupondts sont débiles, Haddock gueule tout le temps, Tournesol est dans la Lune, Tintin est un passionné de golf. Et leurs rôles vont restés cohérents d'un livre à l'autre.

Dans le schtroumpfissime, le schtroumpfissime fait de grosses bêtises (il devient quand même limite nazi). Hé bien dans l'épisode suivant, le schtroupfissime redevient un schtroumpf comme les autres, noyé dans la multitude des petits lutins bleus mignons.

Les schtroumpfs ne sont pas marqués par leurs aventures et redeviennent vierges. Nous ne pourrons pas anticiper les actions des différents schtroumpfs en se disant « celui-ci est méchant, il va faire une crasse », « celui-là est artiste, il va faire une sonate en si bémol ». Et nous pourrons lire et relire toutes les aventures des schtroumpfs comme si c'était la première fois.

Le visage d'un schtroumpf, autant que le visage de Tintin, sont réduits à leurs caractéristiques minimales. 
Ils sont presque vierges, pour laisser le lecteur se les approprier le plus facilement possible. (« C'est un visage, ça pourrait être le visage de n'importe qui (de bleu), ça pourrait être le mien (si j'avais fait une grosse intoxication alimentaire). »

(Nota Bene : Je sais que, petit à petit, est apparu dans les schtroumpfs des schtroumpfs différents, dotés d'une personnalité singulière et de signes de reconnaissances (un tatouage, une plume dans le bonnet, etc...) (des marques de reconnaissance physique que n'ont pas le schtroumpf farceur ou le schtroumpfissime, par exemple, qui peuvent être tous et n'importe qui). Je sais. Mais je ne dirais pas de mal de Peyo, un auteur a parfaitement le droit de faire n'importe quoi avec sa création.)

Ça ne change rien à ce qui se passe dans ce récit du schtroupfissime : le flou qui entoure l'identité des schtroumpfs autant que l'identité des mots recouverts par les schtroumpfs rajoutent encore à cette souplesse et cette interopérabilité mouvante de ce que nous avons sous les yeux.

Tout étant finalement organisé pour que nous puissions lire à chaque fois un récit différent basé pourtant sur le toujours même et unique petit bonhomme bleu.

POUR SCHTROUMPFER...

Comme on ne se baigne jamais dans la même rivière, on ne se schtroumpfe jamais dans la même schtroumpf.


Et tout se finit comme de bien entendu en chanson...

jeudi 2 avril 2015

La bande dessinée raconte de multiples histoires en même temps.

Après nous avoir montré qu'il utilisait toutes les sortes de récits, Peyo nous explique maintenant pourquoi il les utilise TOUS, et EN MÊME TEMPS.

Peyo et tout son studio, le schtroumpfissime, Dupuis.

Si je résume le message précédent : soit un récit raconte l'organisation d'une société, soit un récit décrit les règles de cette société, soit un récit décrit comment s'inscrire dans cette société, soit un récit raconte comment regagner une place dans la société une fois qu'on l'a perdue.

Et, en général, les films, les romans, les bande dessinées n'appartiennent pas à une seule de ces catégories et débordent un peu.

MIEUX ENCORE.

Plus une oeuvre artistique déborde, mieux ce sera pour le lecteur.

PARCE QU'ON A PAS TOUJOURS ENVIE DE LIRE LA MÊME CHOSE.

Le jour où on vient de se faire virer, on n'est pas tellement d'humeur à ce qu'on nous explique des règles qui justifient notre place dans ce monde. Parce qu'on n'a justement plus de place, alors, ça va bien, c'est de la connerie tout ça. Par contre, on va plus facilement se laisser séduire par un récit qui nous explique qu'une fois cette place perdue, on va réussir à en trouver une nouvelle sans (trop) de soucis.

Donc on va être attiré par un type de récit plutôt qu'un autre.

Du coup, les petits malins mélangent tous les types de récits. Comme ça, quelle que soit notre humeur, on y trouvera quelque chose qui nous contente.

ET PEYO EST UN PETIT MALIN.

Peyo décrit un univers dans lequel on puisse se reconnaître.

C'est d'actualité (sauf pour les sourires) (mais c'est justement ce hiatus entre une élection humaine et une élection schtroumpf qui fait l'intérêt et le relief de la scène).

Peyo décrit un monde dans lequel des règles sont définies et validées par tous.

Enfin, presque.

Peyo décrit un monde dans lequel des personnages se battent pour obtenir un place.

Une bien belle success story.

Peyo décrit un monde dans lequel des personnages loosers arrivent à trouver une nouvelle place.

Que c'est réconfortant le fascisme.

ET ENCORE ! PEYO FUSIONNE LES DIFFÉRENTS TYPES DE RÉCITS.


Dans cette planche, par exemple, le schtroumpfs perd sa situation sociale (grosso modo, hein) et en retrouve une nouvelle (récit de retombage sur ses pieds).

MAIS

On peut aussi le voir sous l'angle du schtroumpf qui, grâce à sa grande gueule, arrive à progresser dans la vie (récit de trouvage de place au soleil). Ou encore comme le récit de l'instauration de certaines règle dans une communauté (récit de justifiage de sa place dans le monde grâce à des règles). Et enfin comme une simple description d'un microcosme, légèrement décalé par rapport au nôtre, et qui sert à la fois de satire et de révélateur (la montée de l'autoritarisme).

BREF

Peyo fait tout, tout le temps, et en même temps.

DU COUP, PEYO SE MET TOUT LE MONDE DANS LA POCHE.

Il construit des récits extrêmement ouverts, pour que le caractère ou l'humeur de chaque lecteur puisse y trouver une porte d'entrée.

Que vous soyez un anarcho-trotskyste, un solitaire, un rêveur, un stressé du boulot, un chômeur, un nazi, ou simplement enfant, vous trouverez toujours du grain à moudre en lisant un récit des schtroumpfs.

ET MÊME !

Le fait d'entremêler les différents types de récits crée une complexité structurelle qui va titiller plusieurs parties de votre cerveau (si vous êtes un anarcho-trotskyste solitaire ou un enfant nazi, vous allez trouver plusieurs grains à moudre, et le récit va d'autant plus vous séduire et vous faire dire que les schtroumpfs, c'est trop cool).

Ce qui va permettre d'autant mieux à tout un chacun de rentrer dans l'univers des schtroumpfs, d'y trouver des points d'ancrage, de se l'approprier.

SEUL PETIT PROBLÈME : ÇA PEUT AUSSI EMMÊLER LES PINCEAUX DE CERTAINS.

Quand on est rentré dans un récit des schtroumpfs par la porte « justifie sa place dans le monde - success story du schtroumpfissime » (on a été séduit par cet aspect du récit parce qu'on est soit-même ultra-libéral et convaincu qu'on forge soit-même son destin), l'aspect  « description d'un univers - vie en communauté et fonctionnement des deux camps de schtroumpfs » peut dérouter (qu'est-ce que c'est que ces délires de hippies communistes ?).


Quand on est rentré dans un récit des schtroumpfs par la porte « retomber sur ses pattes après une crise - résolution des conflits par l'action - guerre des schtroumpfs » (on a besoin de reprendre confiance en soi et croire en un futur brillant après le départ tragique de Charlie Jorkin de plus belle la vie), l'aspect « règle qui justifie sa place dans le monde - le grand schtroumpfs est parti et on fait n'importe quoi » peut désarçonner (je voulais être rassuré et bin pas du tout, ha bravo !).


On se retrouve avec des gens qui pensent en toute bonne fois que, du coup, les schtroumpfs, c'est communiste (la vie en communauté), stalinien (communiste avec un grand schtroumpf) (le grand schtroumpfs, dans les récits des schtroumpfs, incarne les règles de la communauté) (la science, l'éthique, le droit) (comme la schtroumpfette incarne la love-story et les schtroumpfs noirs la maladie), ultra-libéral (les films d'actions, c'est bushiste), nazi (les success story, c'est le triomphe de la volonté), tout ça en même temps.

C'est vrai qu'il est très nouille et moralisateur, le grand schtroumpf.
Un gars de droite y verrait l'exemple parfait du dictateur communiste père du peuple.
Et un gars de gauche y verrait l'image du père de l'endoctrinement patronal patriarcal judéo-chrétien.

Sauf que le grand schtroumpf, en fait :

Est porteur de bon sens.

Incarne la science et la connaissance.

Et peut se tromper.

C'est donc beaucoup plus sioux que ça...

Tout ça parce qu'on était rentré dans le récit par un aspect qu'on connaissait bien (on s'y intéressait depuis longtemps) et qu'on se retrouve avec pleins d'autres aspects qu'on maîtrise pas trop et du coup on dit n'importe quoi.

COMMENT FAIT PEYO POUR DÉSARÇONNER CE TYPE DE RÉACTIONS ?

Il appuie sur l'humour.

PAS CON. FALLAIT Y PENSER.

De la même manière que Peyo balaye tous les types de récits possibles pour séduire le maximum de personnes possibles, il balaye (presque) tous les types d'humour possibles pour essayer de faire marrer le plus de monde possible.

On a donc droit, dans le désordre à :

Comique de situation (quiproquo).

Comique de caractère (exagération d’un défaut humain).

Comique de l’absurde (logique prise à revers).

Décalage (entre burlesque et situation héroïque).



Parodie (du genre chevaleresque, ici) (logique, puisque les schtroumpfs se déroulent au Moyen-Âge).

Ironie.

Satire (politique).

Burlesque (pan dans la gueule, haha).

Comique de répétition.

On trouve grosso modo tous les types d'humour dans les schtroumpfs, sauf des grimaces ou des lâchés de salopes. À part ça, tout y est.

Sans oublier bien sûr les jeux de mots.
(C'est pas exactement des calembourgs, certes, mais ce sont des jeux avec les mots.)



Pleins de jeux de mots.

Et donc, avec tout ça, à moins de n'avoir strictement aucun humour, vous devriez comprendre, au détour d'un de ces gags, que les schtroumpfs sont rigolos, comprendre l'aspect satirique général des histoires.

SI JE RÉSUME.

Les multiples types de récits qui s'entrecroisent dans les schtroumpfs doivent permettre d'accrocher chaque lecteur quels que soient ses centres d'intérêt.

Les multiples types d'humour qui s'entrecroisent ensuite dans les schtroumpfs doivent permettre au lecteur, une fois celui-ci ferré au récit, de le relativiser, de prendre de la hauteur et un peu de distance par rapport à ce qui s'y joue. (L'humour de décalage et la parodie nous permettent de prendre conscience que c'est un récit qui se réfère à d'autres récits. La satire et l'ironie mettent une distance entre les schtroumpfs (qui sont un peu bêtes) et nous (qui comprenons mieux la situation qu'eux). Le comique de répétition met en avant les structures mêmes de ce que sont les schtroumpfs.)

On regarde la société des schtroumpfs de haut (c'est normal, en même temps, ils sont tout petits).

EN PARLANT DE COMIQUE DE RÉPÉTITION...

Il y a bien sûr tous ces personnages qui font ou disent encore et toujours les mêmes choses...

Mais il y a surtout le concept même des schtroumpfs.

Des petits bidules bleus qui répètent toujours le même mot.

Des petits bidules bleus qui sont toujours les mêmes petits bidules bleus.

Tout plein de bidules bleus identiques.

Tout plein de bidules bleus identiques, dans des cases différentes.

UN SCHTROUMPF, QU'EST-CE QUE C'EST ?

Un schtroumpfs c'est le symbole du boulot d'un dessinateur de bande dessinée : refaire encore et toujours, de case en case, le même personnage dans des situations plus ou moins différentes.

Peyo a juste systématisé la logique. Et l'a mise en abîme.

POURQUOI ? COMMENT ? DE QUEL DROIT ? EST-CE QUE C'EST À ÇA QUE SERVENT NOS IMPÔTS ?

Nous tenterons de répondre à ces brûlantes questions la semaine prochaine.