Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 28 août 2014

La bande dessinée nous reparle des couleurs, et cette fois elles sont jolies.

Michel Plessix nous montre comment il utilise la couleur quand on lui donne la possibilité de se la jouer subtil.

AUJOURD'HUI, ON VA ESSAYER DE PAS SE CASSER LE TRONC.

On va simplement regarder une planche de Plessix, et tenter de comprendre le pourquoi du comment du choix de ses couleurs.

UN EXEMPLE DE COULEURS PAS POURRIES, POUR UNE FOIS, ÇA CHANGE.

Michel Plessix, Du vent dans les saules - tome 1 - Le bois sauvage, Delcourt.

MAIS D'ABORD, RÉSUMONS-NOUS SUR CETTE HISTOIRE DE COULEURS MOCHES.

Aux grrrrrandes années des journaux de bande dessinée (Tintin, Spirou, Pilote), les auteurs devaient faire avec une qualité de papier et d'impression pourries.

Puis vinrent les albums...

Ceux-ci ont d'abord été mis en place pour « récompenser » les héros de leur popularité (et gagner encore plus d'argent avec).

Comment, alors, donner envie aux lecteurs de racheter ce qu'ils ont déjà lu dans leur journal favori ? Eh bien (en partie) avec l'argument d'une qualité de papier, d'impression, de colorisation, de lecture meilleure.




Et, là, je vous ressers l'exemple de Lucky Luke, et de la comparaison entre ses couleurs « magazine » et ses couleurs « album »
C'est vrai que ça motive pour l'achat.

Puis vint la crise (pas celle de maintenant, l'autre, celle d'avant)...

Petit à petit, les magazines de bande dessinée vont perdre de l'attractivité, et, dans les années 80, c'est le livre qui devient la forme prépondérante de publication des bandes dessinées.

Bénéfice de ce changement de cap : mi pour des raisons économiques (justification de l'augmentation du prix des livres), mi pour des raisons psychologiques-mais-finalement-économiques-quand-même (suppression de l'aspect pulp pour monter en gamme, quelque part entre roman et livre d'art) (« ce sont de vrais livres, ce sont de beaux livres, n'ayez pas peur, mangez-en »), les éditeurs vont augmenter la qualité d'impression des bande dessinées.



 Des journaux comme Métal Hurlant auront bien essayé d'accroître la qualité d'impression pour permettre à certains auteurs de s'exprimer complètement (comme, ici, Moebius, avec son Arzach, en 1975, 76), mais les années 80 viendront les défoncer à grand coups de pelles avec le cercle vicieux bien connu : perte de lecteurs - réduction des coûts - baisse de la qualité d'impression - désintérêt des auteurs et des lecteurs - perte de lecteurs - etc. - chiasse.

La publication de livres de bonne qualité, démarche à la base économique, va encore une fois avoir des conséquences artistiques en influant sur le travail des auteurs, qui vont profiter (pour certains) des nouvelles possibilités qui leur sont offertes et réaliser des colorisations beaucoup plus nuancées.

CE QUI NOUS AMÈNE À MICHOU.

Influencé par ses premier travaux avec la coloriste Isabelle Rabarot, Michel Plessix va voler de ces propres zailes quand il scénarisera, dessinera et colorisera Du vent dans les saules, une bande dessinée ode à la nature et la douceur de vivre.

Michel Plessix, Dieter, et Isabelle Rabarot, Julien Boisvert - Neêkibo, Delcourt.

Et puis Michel Plessix tout seul, qui refait le coup de la rencontre au bord de l'eau.

(Les quatre dernières cases tirées de Julien Boisvert et celles tirées du vent dans les saules sont deux versions différentes de la même scène, je vois qu'on se fatigue pas des masses, dites donc.)

ALORS ATTENTION  : PAS DE PANIQUE !

Effectivement, il y a dans le travail des couleurs de Michel Plessix plus de nuances, plus de soins, que dans celui de Morris.

Mais il n'y a pas plus d'implication ou de réflexion.

Morris a su tirer des quelques couleurs à sa disposition des effets narratifs et plastiques puissants. S'il a colorié une page entière de Lucky Luke en rouge, c'est fait exprès, ça a un but (plusieurs, même), une fonction, une utilité, un effet. Bref : c'est bien. Ça a pris moins de temps à mettre en couleur qu'une page du vent dans les saules, certes. Mais c'est bien. On ne juge pas la qualité d'une œuvre artistique au nombre d'heures qu'elle a nécessité.

A contrario, ce n'est pas parce que Plessix réalise des couleurs plus naturelles, plus « oh le petit zozio », moins « artistiques », moins expressionnistes, qui portent moins « l'univers intérieur de l'auteur sombre et torturé », que son travail est moins valable.

Les deux auteurs ont simplement deux buts artistiques différents. (Ou, plutôt, deux moyens techniques d'arriver au même but artistique.) (Qui est de faire une bande dessinée tip-top-méga-baboule.)


Ce ne sont pas les mêmes couleurs, mais ce ne sont pas les mêmes ambiances non plus.

Plessix, lui, donc, veut exprimer la douceur, la quiétude, l'insouciance. Ce qui se marie très mal avec des couleurs primaires aux francs contrastes ; mais que peuvent admirablement servir des couleurs douces et très nuancées servies par une impression au poil. Une douceur des nuances pour une douceur de la vie. Une subtilité des coloris pour une subtilité des sentiments des personnages. Des couleurs « sans à-coups », sans forts contrastes, toutes accordées les unes aux autres, pour des personnages en accord avec leur environnement et avec eux-mêmes.

Luxe, calme, et volupté.

Beauté des sentiments et beauté de la nature.

MAIS ALORS GAFFE ! C'EST PLUS COMPLIQUÉ QU'IL N'Y PARAIT !

En privilégiant un aspect naturel et doux, il ne faut pas non plus oublier les missions premières de la couleur.

HA OUI, MAIS C'EST QUOI, DÉJÀ, LES MISSIONS PREMIÈRES DES COULEURS ?

Selon moi, elles ne sont pas très compliquées (et, là, je vous fait une petit rediff façon McGyver sur W9 de ce que j'ai déjà essayé d'expliquer plus tôt) :

FAIRE RESSORTIR LES PERSONNAGES ET LEURS ACTIONS.

 Quand la masse des prisonniers est passive et rouge de honte...

Et quand ces mêmes prisonniers sont relâchés (donc actifs) et que l'un parle (donc se différencie)...

FAIRE RESSORTIR LES FORMES ET LES COULEURS.


Travail sur les accords de couleurs et les complémentarités de formes.

CE QUE FAIT ÉGALEMENT MICHEL PLESSIX, HEIN, FAUT PAS CROIRE.

Comme pour les flammes de Morris, les feuillages de Plessix jouent sur la complémentarité des formes et le contraste des couleurs
(deux fois, en plus, chez Plessix, entre feuillage sombre et clair et feuillage sombre et ciel).

Comme chez Morris, quand Plessix veut identifier et personnaliser un élément, il lui donne une couleur propre.
(La taupe en bleu, l'arbre marron, l'oiseau rouge, les carottes rouges, la brouette marron, etc.)

DONC C'EST TOUJOURS LE MÊME BOULOT.

Seulement voilà, Plessix le fait dans sa gamme de couleurs à lui. Une gamme où toutes les couleurs s'épousent élégamment les unes les autres. Il se retrouvent donc avec la double mission de faire lisible MAIS subtil. Contrasté MAIS nuancé.


On part donc d'abord sur du vert. C'est bien, le vert. C'est nature.

Du vert, mais de toutes sortes, hein. Du plus clair, du plus sombre, du plus bleu. 
On nuance pour donner du volume, faire différentes couches, des ombres, différents plans.
  
Bon. Après le vert, le bleu. Ça se marie bien ensemble. Quand c'est un bleu clair, c'est apaisant. Ça fait bio. Parfait.
Les verts et les bleus permettent de distinguer différentes formes, tout en ne jurant jamais les uns avec les autres.

Et ce sera la même chose avec le marron. Inévitable le marron, parce que, bon, faire une forêt sans tronc, c'est un peu chaud. 
Inévitable aussi parce qu'une fois choisies des gammes bleu-vert, difficile de rajouter du rouge. Ce serait trop voyant. Donc il va plutôt falloir utiliser du marron (rouge + noir ou bleu + orange = marron). Une manière de nuancer des couleurs trop pétantes en les mélangeant avec d'autres déjà présentes dans l'image.

N.B. En fait, dans la vraie vie, je sais pas si vous avez remarqué, les troncs des arbres sont plutôt gris. Mais comme, en dessin, colorier des gros tronc en gris, ça ressemble à rien et c'est triste et terne, en général, les tronc sont marron.

Différents types de marron en fonctions des couleurs environnantes (sombres avec le feuillage sombre ; clair avec le ciel clair), toujours dans l'idée de différencier toutes les formes, mais d'accorder toutes les couleurs.

Une fois ceci posé, il reste différentes petites choses à coloriser dans l'image. Des oiseaux, des fleurs, des bidules. Dans ce cas là, comme 1) c'est petit et il faut qu'on le voit ; et que 2) c'est petit et, si on utilise une couleur tranchante, ça ne dénaturera pas la tonalité générale de l'image ; dans ce cas là, donc, on peut se laisser aller à quelques fantaisies...


Du marron, on est des ouf !


Du orange ! Mais c'est insensé !

Du violet ? Mais que fait la police !

Et un peu de tout ! Non mais Plessix aurait-il perdu le sens commun ?!

Enfin, comment coloriser le petit personnage qui est tellement en accord avec la nature ?
   

Hé bien, avec des couleurs déjà utilisée dans le paysage. Pour qu'il s'y fonde...
  

On voit au travers du travail de Plessix toute la subtilité et les interrogations du travail de coloriste : OK, il faut que les différents éléments se démarquent les uns des autres ; mais, ensuite, est-ce que je dois trancher nettement entre les couleurs des différentes formes, est-ce que je dois les accorder ? 

Finalement, Plessix arrive à un compromis : utiliser différentes couleurs pour différencier différents objets, mais essayer de toutes les accorder entre elles.

Ce qui maximise les qualités (techniques, artistiques) de ses couleurs tout en produisant une impression de paix, de plénitude et de simplicité.


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