Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 12 décembre 2013

La bande dessinée est une chapelle Sixtine sans messieurs tout nus.

Raymond Macherot ne nous parle pas de la Shoah, mais c'est bien quand même.

Raymond Macherot, Sybilline et les abeilles, Dupuis.

Maintenant que nous savons qu'on peut envoyer se faire voir le sujet d'un bouquin et que seul l'art d'une bande dessinée compte, on peut essayer de faire le même genre d'analyse que sur Mausmais avec un livre supposément moins sérieux, une bande dessinée typiquement « pour enfant », certifiée « Shoah free ».

Pas de raison de faire des jaloux, ici comme ailleurs, on peut observer :


  • La composition générale de la page.
La page est construite sur l'opposition des deux personnages ennemis. (Faites-y moi penser quand on arrivera sur les antagonismes, merci d'avance.) Ces deux personnages vont se rapprocher et s'éloigner l'un de l'autre comme un accordéon, pour marquer leur valse-hésitation-tentation-du-gourdin.

La valse-hésitation du rat débile.

Ces rapprochements-éloignements donne un rythme (binaire, scandé) à la page, et souligne le mouvement de balancier entre les deux soldats. (« Il va se faire prendre ! », « Ouf ! Il va s'en sortir ! », « Ha non ! », « Ha si ! »)

Cette construction fait vivre la scène.

Et cette construction fait vivre les personnages.

  • La composition générale de la page qui révèle un travail sur les personnages.
Des attitudes, des pensées, des actions différentes pour chaque personnage et à chaque case.
Là, y'a du boulot ! Là, ça bosse ! C'est un belge, évidement ! C'est pas un français qui bosserait autant !  
Ha, quand il y a des allocs, y a du monde ! Mais ensuite ! Y a plus personne !

Le rythme scandé permet la mise au point de cette équation :

ping-pong verbal + rigolo + vitesse + dialogues brillants = ça va vite, c'est fluide, c'est plaisant, et on découvre les personnages (qui ne sont pas ce qu'il paraissent et on les connait mieux grâce à leurs pensées). Une fois qu'on s'est familiarisé, accroché à eux, l'auteur peut mieux les utiliser dans les cases.

  • Un travail sur les personnages qui influe sur la composition des cases.
Franchement, sur ce coup là, les grands esprits se rencontrent...




 Des ronds partout, c'est plus doux.

Nous disions une composition en arc de cercle ? Nous disions des têtes de souris ou des bulles rondes pour mettre en évidence cet arc de cercle ? Nous disions que cet arc de cercle  était centré sur un personnage qui va vers quelque chose de différent, qui change de scène ? Nous disions un jeu sur l'avant et l'arrière plan ? Nous disions un jeu sur l'avant et l'arrière plan mis en exergue par des changements chromatique (l'opposition grisé/blanc d'un côté, l'opposition couleur/noir de l'autre) ? Nous disions une mise en évidence des antagonismes des deux personnages ?

Hé bien oui. On disait tout ça. Et tout y est.

On se le refait une seconde fois ?




Des diagonales partout, c'est plus stressant.

La composition construite sur des lignes droites permet de comprendre que le personnage principal de la case est piégé (par son père, dans le premier cas, par sa mémoire défaillante, dans le second).

Nous avons encore une fois un personnage clair/en couleur isolé, encadré et inquiété par des éléments sombres/noirs/grisés. Des objets « marqueurs » permettant de rajouter des lignes, de structurer encore plus l'image, de la saturer pour acculer le personnage et ne laisser aucun vide (le vélo, la branche, le caillou). Pour équilibrer l'ensemble, d'un côté nous avons la blancheur d'un phylactère, de l'autre, la clarté de la Lune.

(Notons que, chez Macherot, la branche et le caillou son également des purs outils de composition de l'image. Sans eux, il y aurait un sol trop uniforme, une trop grande masse informe. Il y aurait aussi, tout simplement, trop de noir. Et le noir, en bande dessinée, c'est compliqué.) (Dans le cas de Spiegelman, cette question ne se pose pas parce qu'il a choisi d'utiliser des gris.) (Et il a fait ce choix précisément pour ne pas être confronté aux problèmes de Macherot.)


Au final, on se rend compte que Macherot et Spiegelman utilisent les mêmes systèmes de représentation. L'un parce qu'il fait de la bande dessinée pour enfant, l'autre parce qu'il fait de la bande dessinée méta-tu-vois-on-dirais-de-la-bande-dessinée-pour-enfant-mais-c'est-un-détournement-des-codes-style-tu-vois.

  • Un travail sur les personnages qui influe sur la composition des cases et même leurs formes.
Euh...

La forme des cases...

La forme des cases chez Macherot...

On peut pas dire que les cases changent follement, ici. Le père Macherot est un peu coincé par le canon classique de Dupuis, avec des cases bien carrées et les moutons seront bien gardés.

Bon...

Alors...

Ah ! Je sais ! On va changer de page !

Toujours Raymond Macherot, toujours Sybilline et les abeilles, toujours chez Dupuis.

Le père Macherot étant bien gentil, il ne veut pas trop choquer son monde en faisant des cases alambiquées de derrière les fagot. Mais il a une autre solution. Il fait ça :

Ha la bêcheuse !

Tout comme Spiegelman, Macherot modifie la forme de sa case. Mais en douce. L'air de rien. En obturant simplement une partie de sa case avec de la terre. Du noir.

Ce travail (qui vise ici à recentrer les débats petit-à-petit sur les protagonistes) (on se rapproche de plus en plus des personnages en ayant de moins en moins de décors visibles) n'est valable que parce qu'il s'accompagne de toute une démarche globale dans la construction générale de la page.

C'est vrai, ça... Pourquoi une grosse case maousse en début de page si c'est pour tout resserrer ensuite sur les personnages ? On aurait pu faire bien plus simple :

Pour contre-carrer 50 ans de représentation gentiment misogyne des femmes, 
Macherot rend un personnage masculin complètement hystérique.

Et à la place, on a tout un truc alambiqué, avec jeu de construction pour guider le regard, comme dans le Astérix de tantôt :

C'est vrai que c'est compliqué à lire. Ou alors il faut un sac à vomi.

Pourquoi, alors, tout ce bazar ?

POUR QUE LA NATURE ENGLOBE TOUTE LA PAGE.

De la nature partout, et en grand !

Un père omniprésent, et en grand !

Comme la figure du père englobe en filigrane toute la page de Maus (et cela fait sens, puisque le thème principal de Maus est celui du rapport de l'auteur à son père), la nature englobe en filigrane toute la page de Sibylline (et cela fait sens puisque Sibylline est une sorte d'ode à la nature).

Le seul élément divergeant dans la page de Sibylline est l'espèce d’aparté dites « dans le terrier ». Parce que c'est le seul élément réellement dramatique (des révélations, un suspense) de la page, le seul élément centré sur l'écrit, le seul élément avec un antagonisme (opposition entre la lettre et le personnage de Taboum qui se chauffe contre cette lettre), le seul élément non-intégré à la nature (Taboum est sur une île sous un arbre, Sibylline se fond dans la nature en se cachant derrière des fleurs ou sous l'eau ; la lettre (avec le lit du terrier) est le seul élément non-naturel, moderne, de l'ensemble de la page).

Cela justifie le côté « à part » de « l’aparté dans le terrier », comme cela justifiait le côté « à part » de la « case  à l'iris » du père jeune de Maus (ça se passait dans une autre époque)Un encart dans la construction générale de la page.

ODE A LA NATURE, DISIEZ-VOUS ?

Certes.

Parce que les constructions respectives des pages de Maus et de Sibylline ne sont pas gratuites mais créent également du fond. (C'est la forme qui donne ce fond.)

Le père, la descendance, Freud est mon ami, d'un côté. 

La nature, la façon de s'y fondre, notre rapport à elle, notre rapport à un certain mode de vie idéalisé (la petite maison dans la prairie n'est pas loin), de l'autre.

ATTENTION, JE FAIT UN DISTINGO ENTRE LE FOND ET LE SUJET.

Le sujet, ce serait la nécessité de parler de grands problèmes de société (« les nazis sont méchants »). Le fond, ce serait ce qui est généré par l'oeuvre d'art (des sentiments, un attachement au personnage, l'impression brève d'y croire, la compréhension de la relation entre Art Spiegelman et son père, l'impression de se rapprocher de la nature, etc...)

OUI, PARCE QUE, LES DOSSIERS DE L'ECRAN, MERCI BIEN.

Encore une fois, ce n'est pas dans l’énoncé des avanies nazies vécues par le père de Art Spiegelman que Maus trouve sa valeurN'importe quel livre historique lui est préférable, parce qu'il présentera des faits objectifs et bien mieux documentés. C'est dans la recréation, devant nos yeux, des sentiments de son père et de l'auteur à différents moment de leurs vies. C'est ceci qui est un point de vue unique sur quelque chose d'unique. C'est ceci qui justifie l'oeuvre.

Ce n'est pas dans la dénonciation pour les moins de 15 ans des méfaits du fascisme que Sibylline trouve sa valeur. (Macherot choisit des petits-animaux-meugnons pour faire doucement glisser le sujet vers des réflexions sur la fascisme. (Sibylline est confrontée à des armées de rats qui veulent conquérir la campagne), puis reprend la tangente en ridiculisant complètement son dictateur d'opérette (les rats sont tous stupides et le personnage principal évite la bataille grâce à son intelligence et son sens de l'improvisation.)

Ce qui compte, c'est que Macherot arrive, tout au long de son récit et dans chacune de ses planches, à magnifier la nature (qui habite ses personnages autant que ses personnage l'habite). Comme l'arbre, la berge, et le lac qui englobent la structure générale de la page, la nature englobe la structure générale du livre. Elle reste là, imperturbable et accueillante, tandis que les personnages s'agitent, se serve d'elle, vivent en elle.


Avec sa bande dessinée, Raymond Macherot nous fait partager son regard sur la nature. Plus, même ! Il nous invite (et nous incite) à nous y réfugier.


C’ÉTAIT ENCORE PLUS LONG QUE TOUT, C'EST QUATRE MESSAGES ! MAIS C'EST PAS POSSIBLE ! J'AI UNE VIE ! J'AI UN CHIEN !

COMMENT ÇA « LA SEMAINE PROCHAINE, ON DÉVELOPPE ENCORE LE MÊME THÈME  » ? MAIS ÇA NE S’ARRÊTERA DONC JAMAIS !?!!!


(BON. OK. J'ESSAYERAI DE FAIRE PLUS COURT.)

6 commentaires:

  1. Autant je trouve vos considérations sur la composition globale des planches fort intéressantes et pertinentes, autant vos comparaisons entre les cases de Sybilline et celles de Maus me semblent très capillotractées. M'enfin.

    Quant à la Chapelle Sixtine, je la préfère avec des messieurs tout nus que sans !

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    1. Qu'est-ce qui vous semble capillotracté ?

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    2. Le fait d'extraire une case de Macherot, de la rapprocher d'une page de Spiegelman, puis de dire "vous voyez, y'a des trucs communs". Dans l'absolu pourquoi pas, mais à ce compte-là on peut alors prouver tout et n'importe quoi. Par exemple que chaque album de Ric Hochet est une allégorie de la passion du Christ et que, si on les remet dans le bon ordre (que seuls les Initiés connaissent) et en prenant uniquement les pages impaires, on retrouve le plan secret de domination du monde par les Elohims. (Et, faisant partie des Initiés, je peux vous dire que ça fait froid dans le dos !)
      Alors que quand vous décortiquez la composition d'une planche, là ça fait sens et je me dis "comment ne l'ai-je pas vu plus tôt ?" C'est comme lorsqu'on m'a fait remarquer que, dans une des pages du Vent dans les saules, Michel Plessix avait dissimulé une reproduction de l'Origine du monde. (Peut-être avez vous déjà prévu de consacrer une analyse à l’œuvre de Plessix un de ces jours ?)

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    3. Hum... Je vois...

      Ce que j'ai essayé de dire, c'est que les réflexions artistiques de Macherot et Spiegelman sont similaires, bien que les réputations de leurs oeuvres ne le soient pas. Alors, c'est sûr, mettre une case de n'importe quel album en relation avec une autre case de n'importe quel autre album, c'est un peu facile, et on peut aboutir très vite à des sur-interprétations complotistes façon "on voit bien que l'avion n'a pas percuté le pentagone". Et, vu comme ça, c'est sûr, le passage "Un travail sur les personnages qui influe sur la composition des cases." n'est effectivement peut être pas bien finaud.

      Par contre, je maintiens que la figure du père d'une part et la figure de la nature d'autre part constituent des "trames générales cachées" dans les deux cas. Et que donc, pour ce coup là, on peut opérer un parallèle direct entre les deux auteurs. (J'aurais peut être du partir de là, et dérouler dans l'autre sens...)

      Mais bon, apparemment, je ne suis pas très convainquant :-).

      Enfin : pas de Courbet dans les prochains messages, désolé...

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    4. Nous sommes d'accord : quand vous parlez des "trames cachées" au sein des planches de l'un ou l'autre auteur, j'adhère totalement à votre propos. Et je vous en remercie parce que, si on ne m'avait pas mis le nez dessus, je ne verrais sans doute toujours rien. Bref, bravo pour votre blog toujours très intéressant et, la plupart du temps, convaincant. ;-)

      PS : L'avion qui n'a jamais percuté le Pentagone, ça fait aussi partie du plan secret de domination du monde par les Elohims. J'ai les preuves ! Mais on essaie de me faire taire, on me surveille sans cesse ! Il faut que tout le monde sache que la v

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    5. Ha bin moi, si tout le monde est d'accord, je suis d'accord.

      Comme je vois que vous vous intéressez aux complots, mon prochain message sera sur les raeliens sionistes francs-maçons qui, comme chacun sait, sont à l'origine des év

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