Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 14 novembre 2013

La bande dessinée fait semblant de tirer la tronche.

Goossens nous montre comment déconner froidement, l'air de rien.



Daniel Goossens, Georges et Louis romanciers - La fin du monde, Audie - Fluide Glacial.


AUJOURD'HUI JE VAIS ME LA JOUER PÉPÈRE, JE VOUS PRÉVIENS.

Il va s'agir de regarder un peu tous les aspects des planches de Goossens au regard de ce que j'ai dit dans les chapitres précédents.

Du coup, on va se rendre compte (enfin, j'espère) que je n'écris pas trop de grosses conneries et que Goossens fait de la bande dessinée comique avec le sérieux d'un pape dépressif.

Donc...

Si on regarde les aventures de Georges (le grand) et Louis (le petit), on se rend compte qu'il font plein de choses...

Notamment :

  • GEORGES ET LOUIS SONT UN POINT D'ANCRAGE. 
Si Goossens ne faisait que nous raconter l'histoire du général au chevet du fou qui veut que tout le monde aille retaper une bicoque à la campagne avant d'être interrompu par un sage éleveur de chèvre, on lâcherait vite fait la rampe. Ce serait too much. Alors qu'avec Georges (le grand) et Louis (le petit) qui font contrepoint, on peut sortir du récit et se rattraper à quelque chose de plus quotidien (deux gus communs qui papotent dans un bureau) (et qui décryptent le précédent récit). (Bon, ensuite, cette nouvelle situation glisse elle aussi dans l'absurde, mais quand Georges interrompt le récit parce que c'est portnawak, il le fait parce que nous avons nous-même envie d'interrompre le récit. Georges offre une respiration avant de replonger dans l'absurdo-débile.) Preuve de tout cela : nous sommes avec Georges et Louis comme avec des amis.

  • NOUS SOMMES AVEC GEORGES ET LOUIS COMME AVEC DEUX AMIS.
De même que chez Guibert, chez Georges et Louis, nous sommes « à hauteur d'homme ».

Quand nous sommes dans leur bureau, nous sommes à côté d'eux. On ne participe pas à leur conversation  (on est de l'autre côté du bureau) mais on les observe, on les écoute, on essaye de se mettre sur la pointe des pieds pour voir ce qu'il y a d'écrit sur ces satanés feuillets.


Et quand on n'est pas avec eux mais dans le récit, rebelote. Nous épousons des points de vue crédibles. Un coup au chevet du malade qui délire (mais toujours debout, jamais vraiment inséré dans le groupe, toujours en spectateur), un coup en bas de la colline avec le vieux-sage-éleveur-de-chèvre.


D'ailleurs, preuve de leur sérieux :

  • GEORGES ET LOUIS ONT UN BUREAU.
Le décor, là encore, est utilisé pile comme il faut...

Deux personnages discutent de manière intello (de choses complètement débiles, mais de manière intello) ? On se retrouve dans un décor qui nous informe, qui nous renseigne sur le sérieux de la situation. Un bureau avec des livres d'études ouverts, des tableaux en liège avec des notes dessus, et même un téléphone (rendez vous compte).


De plus, comme chez Marion Duval, le décor est utilisé de manière très maligne. Il est là mais il ne phagocyte pas la scène. Il est comme une sorte de petite obsession inconsciente qui s'allume dans notre cerveau.



Cet ancrage réaliste permet d'ensuite partir en capilotade dans le récit.

Enfin... Capilotade... C'est vite dit. Parce que le récit dans le récit respecte aussi des codes... 

  • OU PLUTÔT LES CLICHES DU GENRE.
Pas un personnage qu'on ait déjà vu 257 783 fois dans n'importe quel téléfilm de troisième partie de soirée sur NRJ12.

On a droit à un peu tout. Le général. Le rescapé. Le vieux sage qui a tout vu. La « femme ». (Il n'y a toujours qu'une femme dans les récits de survie. Va savoir pourquoi. Bon. Parfois, il y a aussi une ado. Qui est un autre cliché.) Bref. On se retrouve avec le casting complet du Poséidon

Là encore, c'est pour inscrire tout ça dans un look « sérieux et sacrifice », « récit d'hommes, de vrais ».

Et quand il n'y a pas d'enjeux raisonnablement dangereux ? Hé bien les personnages réagissent quand même comme si leur vie en dépendait.


Ces clichés ne sont pas seulement visible dans le scénario. Mais il déteignent également sur le dessin, qui est à la fois très beau et très classique (par classique, je veux dire « académiquement juste »).

En ce sens, il correspond bien à l'ambiance générale de sérieux de l'entreprise. Comme les décors sont utilisés de manière classique, comme tous les moyens de la bande dessinée sont engagés pour réaliser un récit avec le plus de maestria possible, comme tout est fait pour impliquer le lecteur dans le récit (identification, voyage entre amis, etc.), le dessin semi-réaliste pourrait nous faire croire qu'on est pas là pour rigoler, que le sujet est important, qu'on est peut être tombé sur une biographie de Churchill sans faire exprès.

Les visages des personnages, façon John Wayne et Robert Mitchum qui serrent les mâchoires dans Le jour le plus long, participent aussi à ce sentiment.



Et tout ça pour quoi ? Pour que ces durs à cuire s'opposent les uns aux autres (encore un cliché).

  • HALALA, LES DURS A CUIRES...
On passe d'une opposition « Georges et Louis »/« témoin délirant » à l’opposition « témoin délirant »/« général à son chevet » à l'opposition « général au chevet »/« éleveur de chèvre ».

Cette manière classique d'agencer un récit permet de se la jouer concerné. Il y a des antagonismes. Des oppositions. Des prises de chou. Des enjeux. C'est sérieux. On n'est pas là pour déconner (en fait, si).

Goossens ne se contente d'ailleurs pas d'adopter des méthodes « scénaristiquement correctes ». Il respecte aussi les méthodes « bédéistiquement correctes »



Quand Louis est à l'attaque et argumente, il est à gauche de l'image. Parce que, du coup, ses paroles semblent attaquer Georges. (Comme le regard va dans le sens de lecture, celui-ci part de Louis et va vers la droite. Du coup, il a l'impression que Louis est à l’offensive, qu'il est dans le sens du mouvement des choses (point justification de politique ultra-libérale). De plus, l'espace entre les deux personnages semble lui appartenir. Par la suite, le regard arrive sur Georges, en bout de case. Et Georges paraît acculé.)

Dans la deuxième case de l'extrait, quand Georges est à la relance, la position de son corps est placée dans le sens de la lecture. En plus, il s'est décalé au milieu de la case, il n'est plus acculé.

Enfin, quand Georges marque un point dans la dernière case de l'extrait, il se retrouve cette fois à gauche de la case, dans le sens de lecture. C'est lui, cette fois, qui possède l'espace.

Bref. Goossens la joue « je respecte les règles et je les utilise comme il faut ».

BREF !

Tout est fait pour conserver l'esprit de sérieux de la bande dessinée qu'on lit.

Puis, ensuite, gentiment, Goossens prend l'esprit de sérieux par la main, et lui explose les rotules.

Parce que tout ça est simplement fait pour dire des conneries et que l'effet de ces conneries, par contraste avec le sérieux de tout le reste, prend une ampleur des plus extraordinaires.

DU COUP...

Goossens nous met dans sa poche en nous faisant comprendre que tout ça est là pour qu'on s'amuse et que nous sommes en quelque sorte du bon côté, pas celui des débiles qui racontent n'importe quoi pour nous faire marrer, mais du côté des gens intelligents qui se gondolent en lisant l'histoire. Ce faisant, Goossens en profite pour nous mélanger les pinceaux. C'est à dire qu'entre ce qui est sérieux, ce qui ne l'est pas, les personnages qu'il faut prendre au premier degré (Georges et Louis en mauvais écrivains) ou au second (Georges et Louis qui fondent les plombs à base de « je ne suis pas une femme séduisante »), sans compter les personnages et situations complètement débiles, on ne sait vraiment plus ce qui est du lard ou du cochon. On ne voit plus les coutures du récit, on ne peut plus que se laisser porter par la folie douce qui berce le tout, toute les couches du récit créant un véritable effet artistique d'autant plus profond qu'il reste indéchiffrable, trop complexe.

AU FINAL.

Comme les plus grands, Goossens nous montre qu'une bande dessinée peut être un éléphant... Que l'ont peut raconter n'importe quoi, n'importe comment. Qu'il n'y a pas de règles. Mieux, qu'on peut prendre les règles par les doigts de pieds, et leur faire faire un 360.

En n'utilisant que des standards dans son récit, mais en les combinant différemment, Goossens obtient quelque chose de tout à fait nouveau (et drôle !).

BON, J’ESPÈRE QUE JE N'AI PAS ÉTÉ TROP RELOU POUR EXPLIQUER DES TRUCS RIGOLO, CE SERAIT VRAIMENT PAS DE BOL...

ALLEZ ! UNE PETITE LOUCHE EN PLUS DE GOOSSENS, PARCE QUE C'EST RIEN QUE DU NATUREL, CA PEUT PAS FAIRE DE MAL.



1 commentaire:

  1. Puisque je suis chez moi, j'en profite pour m'exprimer...

    Je remercie Jérôme pour faire ma pub sur tous les site 2.0 de France et de Navarre. Très charitable de sa part.

    Allez lui acheter du papier : http://www.editions-delcourt.fr/catalogue/bd/papier_1

    Je remercie la mystérieuse Deborah qui 1°) a lu la revue papier et a aimé l'histoire de Jérôme (tant de bon goût, cela frise l'insolence) et 2°) est presque devenue mon twit officieux officiel sans que je ne lui demande rien et alors que je ne l'a connait ni d'Eve ni d'Adam.

    Allez lui faire des bisous : https://twitter.com/Tanjecterly

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