Quelques pages de bande dessinée de temps en temps.

Une critique essayant d'être intéressante à cette occasion.

Un aspect particulier de la bande dessinée à chaque critique.


jeudi 25 juillet 2013

La bande dessinée s'envole dans les bubulles.

Goscinny et Uderzo nous montrent que, c'est bien beau les dessins, c'est bien beau les scénarios, les décors, les couleurs, les personnages, c'est bien beau les constructions de pages ; ce qu'il faut, avant tout, c'est faire de belles bulles.

Albert Uderzo et René Goscinny, Astérix chez les Helvètes, Dargaud.

Franchement, moi, je n'aime pas trop Astérix chez les Helvètes.

En plus, la page montrée aujourd'hui est juste une scène de transition, sans vraiment de gag, avec une action pauvre.

C'est donc très impressionant que, pour cette simple action a demi pourrie, les deux big boss se déchaînent avec une telle maestria pour faire de ces huit cases une merveille de bande dessinée (je suis à la limite d'avoir de l'émotion) !

Une maestria qui peut notamment se retrouver dans ce truc tout 
bête que sont les phylactères (les bulles, quoi), placés dans cette page aux endroits les plus « narrativement pertinents » (bigre) qui soient.

MAIS AVANT TOUT, UN PETIT 
APARTÉ.

Un des problèmes les plus importants dans la bande dessinée, c'est la lisibilité.

Pas la lisibilité au sens de « keskécé ces griboullis », mais plutôt dans le sens « il faut lire les cases dans le bon ordre, il faut aussi lire les dessins dans les cases dans le bon ordre, il faut encore lire les phylactères dans les dessins dans les cases dans le bon ordre ; et tout ça avec le sourire ».

(C'est à dire que c'est gentil de jouer sur la forme des cases, sur le rythme de lecture, sur les attentes des lecteurs, MAIS si tout ça est fait portnawak et qu'au final on se mélange les pinceaux dans qui fait quoi, à qui, comment, pourquoi, mais toujours entre adultes consentants, ça ne sert à rien... Un des boulots des auteurs de bande dessinée est donc de guider le regard du lecteur, pour qu'il perçoive les bonnes informations aux bons moments. Pour cela, il faut agrandir certaines cases, en réduire d'autre, augmenter la taille de telle personnage ou de tel phylactère, etc. etc... Et ceci n'est pas une mince affaire, puisqu'il faut ensuite penser à imbriquer tout ce beau monde ensemble. Les cases deviennent un peu comme des petites bonhommes qui se poussent les uns les autres pour trouver leur place.)

La page de bande dessinée, une allégorie.


Image dans laquelle Nestor pousse littéralement les cases avec ses jambes et ses bras.
Les cases contiennent Nestor et ne contiennent que Nestor, et tout est coincé au millimètre près.

Une des armes pour arriver à ses fins, aussi ballot que cela paraisse, c'est la bulle.

POUR LA PLANCHE QUI NOUS OCCUPE...

Ici, la contrainte est de représenter une scène toute en longueur (les grandes cases verticales), en faisant en sorte que l’œil du lecteur ne soit jamais perdu, toujours guidé.

Du coup, pour bien commencer, les auteurs vont s'appuyer sur l'habitude du lecteur à avoir sous les yeux des planches de quatre bandes (dans Astérix, sauf cas particulier comme ici, les pages possèdent quatre bandes). Ils vont donc organiser la disposition des personnages dans la page pour, en quelque sorte, « simuler » ces fameux quatre strips (bandes, strips, lignes de cases, c'est la même chose, hein).


Y a pas vraiment quatre strips, mais il y quand même quatre strips... Magiiiie !

La subtilité est d'organiser ce faux-quatre-strips de manière suffisamment évidente pour que ça ait un impact sur le lecteur, et de manière suffisamment sioux pour qu'il ne se bloque pas dessus.

Ici, ce sont les phylactères qui sont utilisés pour simuler les vraies-fausses marges blanches (des bulles presque blanches pour simuler des marges blanches, ça va, c'est raccord) et aider le lecteur à organiser son regard général.

Y a pas vraiment de marge, mais il y quand même une marge... Magiiiie !

Cette construction a non seulement une fonction dans la forme (aider le lecteur à lire en séparant les différents protagonistes, c'est bien la moindre des choses) (2° bande : le romain ; 3° fausse bande : sa troupe ; 4° bande : Obélix), mais aussi une fonction sur le fond (le pauvre romain est physiquement séparé de sa troupe par la vraie-fausse marge ; il est isolé ; il va prendre cher ; c'est déchirant).

MAIS ATTENTION !

Certes, cette construction est maligne, mais à trop séparer les cases le lecteur risque d'être induit en erreur et de lire la page ainsi :


Et ça c'est pas cool, parce que le but est que les cases se lisent ainsi (ou presque, comme on va le voir) :



Pour éviter que le lecteur fasse fausse route, les auteurs ont donc feinté et aménagé cette case :


Si les deux cases suivantes sont bien organisées en sous-cases disjointes (et pour cause, les romains sont séparés, puis se quittent, il y a donc bien une utilité à laisser chaque protagoniste dans son coin) :


La précédente est d'un machiavélisme fini...


ALORS, ATTENTION, C'EST PARTI !

Dans la construction de cette case, la première étape était l'organisation en quatre bandes. Comme ça, habitué à cette construction, on tombe d'abord sur le romain accroché à Obélix.


Ensuite, dans cette case, il n'y a pas de vraie-fausse marge blanche (il n'y a pas de phylactère au milieu de la case). Au contraire ! Il y a des lignes de vitesse qui font le lien entre le haut et le bas.


Ces lignes habituent le lecteur à faire le mouvement de yoyo de bas en haut (et non de gauche à droite) qu'il va lui falloir réaliser pour lire toutes les cases. 

Une fois passé dans « la case du bas », hé bien on y reste. Barré par la vraie-fausse marge blanche des bulles, le regard du lecteur reste avec le centurion romain, dans la « troisième bande virtuelle ».


AU FINAL.

Avec, donc, une lecture organisée grâce aux mouvements des personnages (les lignes de vitesses) et une séparation des protagonistes organisée par les 
vraies-fausses marges des phylactères, je pense que, grosso modo, cette planche peut être lue de cette manière :

Une nouvelle stratégie de dominos : on passe de « Astérix - Obélix » à « Obélix - romain », puis à « romain - centurion », 
les transitions entre les groupes étant gérées par la répartition des personnages et des phylactères dans les cases .

REVENONS SUR LE RÔLE DES BUBULLES.

Dans cette planche, les bulles ont deux fonctions : soit elles servent à faire le lien entre différentes cases (comme dans la première bande), soit elles servent à séparer les différents protagonistes (comme dans les grandes cases verticales).

MAIS CE N'EST PAS TOUT !

Le texte, et même la taille du texte, jouent un rôle dans la construction de la planche...

Dans une bande dessinée, le texte a une valeur de temporisation. On met du temps à lire une bulle. Donc plus il y aura de texte dans la bulle, plus de temps se sera écoulé dans la case (parce que le lecteur aura mis plus de temps (réel) à lire, et parce que le personnage aura mis plus de temps (fictif) à prononcer le texte) (le temps fictif rejoint ici le temps réel). (Du coup, par exemple, on a toujours l'impression que Blake & Mortimer sont dans une sorte de stase.)

VOYONS UN PEU CE QUI SE PASSE PARTICULIÈREMENT DANS CETTE PAGE.

  1. Un peu de texte, parce que les romains peinent dans la montée, et que ça leur prend un peu de temps pour arriver et sauver leur collègue (en bonus : une course en sens opposé au sens de lecture). S'il n'y avait pas eu de texte, on aurait filé comme une flèche sur cette case, et on aurait eu l'impression que les romains couraient plus vite que des lapins à piles.
  2. Même logique : « attention, je vais tirer » = « donc, je n'ai pas encore tiré » = « je reprends mon souffle » = « je prend du temps » = « je parle ».
  3. Parce que le romain monte sur toute la longueur de la case, cette montée prend du temps, donc il faut du texte. Mais pas trop (un seul mot) parce que cette montée est brusque.
  4. Suivons les lignes de vitesse pour descendre.
  5. A contrario du 3, quand le centurion rate son soldat, ça se joue à une demi seconde. C'est rapide. Donc pas de texte.
  6. Les deux bulles sont situées au milieu et nous font comprendre que les deux personnages sont déjà séparés et qu'ils ne sont plus capables de se rejoindre. Le volume de texte montre que le soldat peine pour essayer de redescendre en faisant pédaler ses petites jambes. Mais ça ne suffit pas. Les queues des phylactères (ses espèces de flèches qui indiquent qui parle) permettent de lier le tout : on est sur le centurion romain, on suit la flèche, on arrive sur un bulle, on lit la bulle à côté, on suit la flèche, on arrive sur le romain isolé.
  7. On revient donc vers le haut, guidé par la queue de la bulle du romain qui monte, qui monte, qui monte...
  8. Retour en haut de case. Le soldat disparaît presque dans le blanc de la marge. Il part vers l'inconnu. Il est une cause perdue, on ne s'occupe plus de lui, il disparaît, et n'a donc pas de texte.
  9. En dessous, la troupette quitte également la case, par le coin droit cette fois. (Elle aussi va vers le blanc de la marge et de la page.) (Ils partent aussi vers l'inconnu, l'incertain...) (Vont-ils réussir à le sauver ? Vont-ils pas ?) Notons que les phylactères qui séparent les personnages sont de plus en plus gros au fur et à mesure que les protagonistes sont de plus en plus éloignés.
  10. La grosse bulle empiète d'une case sur l'autre. Donc le lecteur se dit naturellement : « Je suis dans cette case, je vais glisser dans la deuxième ».
  11. Sur cette dernière bande, les bulles se retrouvent de plus en plus hautes dans les cases. Comme le romain monte petit à petit, ses phylactères font de même. Physiquement, tout monte, pour laisser plus de vide en bas de case.
  12. Un truc qui n'a rien à voir, mais cette planche est tellement riche que même l'utilisation des décors est géniale. Le marron de la roche s'oppose à toutes les autres couleurs de la scène et permet de définir un plan vertical qui inspire à toute la page son mouvement de bas en haut. Le graphisme de la roche est également plus détaillé que celui des arbres dans le fond ou même que celui des personnages. Celle-ci ressort donc nettement et on la remarque. Enfin, elle n'occupe que 2/3 de la case. Si elle avait occupé toute la case, cela aurait créé un fond uni (et très moche) auquel on aurait pas prêté attention (sauf pour se dire qu'il était moche). Tandis qu'ici la roche sert en quelque sorte de marqueur à l’ascension du soldat romain. Ses dentelures sont comme les graduations d'une règle.

Exemple de décor uni, moche, sans aspérités, insignifiant. Il existe, mais il ne compte pas. Il n'est pas utile.

Chez Astérix, les auteurs francs du collier ne cherchent pas à nous faire passer des décors pourris pour Versailles.
(Image tirée de Astérix en Corse.)

Tandis que quand ils veulent utiliser ce fameux décor, bin ils ne le font pas à moitié.

BREF.

Les phylactères sont exactement à cheval entre le scénario et le dessin et il me semble que la symbiose scénariste/dessinateur ressort nettement au travers de ce tout simple objet (puisque tout, dans la bubulle, a une importance, et que la détermination de ce tout est décidée par le scénariste ET le dessinateur)... 

Le fait que la bulle existe a une importance (qui se décide au scénario). La longueur de son texte a une importance (qui se décide toujours au scénario). Sa position a de l'importance (ça, c'est pour le dessin). Son volume a de l'importance (toujours pour le dessin). Sans parler des dialogues, des aménagements entre scénaristes et dessinateurs pour qu'ils tombent d'accord... 

Au final, il est bien difficile de comprendre qui de Goscinny ou d'Uderzo a su maximiser l'utilisation des phylactères dans cette page pour transformer une simple scène de transition en bijou de bande dessinée... 

C'est très probablement parce que les deux génies y sont pour une part égale.

jeudi 18 juillet 2013

La bande dessinée se mélange les pinceaux.

Puisque certaines personnes le réclamaient à corps et à cris, aujourd'hui, du Maurice Tillieux.

Maurice Tillieux qui nous montre que, parfois, croiser les effluves, c'est bien... Surtout quand il y en a plein...



Maurice Tillieux, Gil Jourdan - Le chinois à deux roues, Dupuis.

Des fois, le pourquoi du comment de « cette bande dessinée, elle est trop bien » est quelque chose de très mystérieux...

Celle-ci, par exemple... Est-ce qu'elle est particulièrement bien dessinée ? Pas tellement. Est-ce que l'histoire est grandiose ? Bin... Une espèce de mélange du salaire de la peur avec des films d'aventure des années 30, 40... On a vu plus original.

Le salaire de la peur. Un film de mecs qui ont pas les foies.

Aventure en Birmanie. Y a « aventure » dans le titre, donc c'est bon.

MAIS !

(Il y a toujours un « mais »...)

Cette bande dessinée arrive à nous séduire grâce à son rythme et au pur talent de l'auteur pour, non pas raconter une super histoire, mais raconter super bien une bonne histoire.

Un peu comme le moche dans une soirée (il est mal dessiné) qui, bien sûr, drague tout ce qui bouge (ce n'est pas bien original) mais qui arrive finalement à emballer l'affaire parce qu'il raconte super bien tout un tas de trucs (il alterne l'humour, le sérieux, les sujets intéressants).

Bref, Maurice Tillieux est en pleine opération séduction.

 De l'action !

 De l'humour !

Plus d'aventure que dans un Indiana Jones !

Des vrais mecs !
(Savoir identifier les marques de bagnoles, c'est bien. Savoir lire les immatriculations d'avions, ça, c'est übermensch.)

BON. D'ACCORD. POUVOIR UTILISER TOUS CES ÉLÉMENTS, C'EST DÉJÀ TRÈS BIEN.

Certes.

Mais vous savez ce qui serait mieux ? Les faire alterner les uns avec les autres, pour que chaque élément fasse partie d'un ensemble fluide, que tous s'imbriquent, que chaque élément vienne épicer le précédent, le mettre en valeur et en perspective.

Ça ! Ce serait indubitablement une bien belle méthode scénaristique !

SUR LA DOUBLE PAGE QUI NOUS OCCUPE, PAR EXEMPLE...

On a tout un tas d'alternances qui se mélangent les unes aux autres et permettent de ne pas rester sur une même note mais de varier de ton, d'être changeant, diversifié, surprenant :

Pour ce qui est de l'action...

Pour ce qui est du suspense... 

Et de son inverse, la tension dramatique (en quelque sorte).

Revoilà l'humour.

Et l'aventure !

Sans compter des mecs hyper virils (en débardeur !) (pour conduire un camion !) (dans des rizières!).

J'espère que, avec ces schémas approximatifs et moches très très pertinents, on peut comprendre que le but de Tillieux est d'alterner et d'imbriquer le plus d'éléments disparates possibles.

C'est facile de dire « Tiens ! J'aimerais bien qu'il y ait de l'humour ! », « Tiens ! J'aimerais qu'il y ait de l'action ! », « Tiens ! J'aimerais bien qu'il y ait des mecs en débardeurs ! ».

Tu veux des mecs en débardeurs ? Tiens ! Je t'en donne plein !

Le problème (comme toujours) (j'ai mes petites fixettes), c'est  l'aspect « programmatique » de certaines bandes dessinées...

Dans une bande dessinée comique, on pressent le gag. On sait qu'il va y avoir un développement assez court, qu'on va devoir attendre gentiment, et que, à la fin, apparaîtra le petit gag qui va bien. Dans une bande dessinée d'action, on pige assez vite qu'une scène calme prépare une montée dramatique. Puis que, après cette montée, la tension va retomber, pour ne pas user le coeur fragile du pauvre petit lecteur. On va donc devoir à nouveau patienter tranquillement jusqu'à l'arrivée de la prochaine scène qui envoie du pâté. Dans les bandes dessinées avec des mecs en débardeurs il... euh... hé bien je ne sais pas top à quoi ça ressemble une bande dessinée avec des mecs en débardeurs....

BREF...

Presque inconsciemment, le lecteur intègre la structure des différents genres (polar, humour, aventure, j'en passe), et peut deviner plus ou moins facilement quand auront lieu les moment clefs, les gags, les révélations, les retournements de situations, les scènes d'action, et tout ce genre de choses.

Mélanger et imbriquer différents styles de récits permet d'être plus inattendu (On ne sait finalement pas trop de quelle catégorie sera faite la case suivante.) (Comique ? Aventure ? Débardeur ?) et finaud (les phases « tranquilles » entre deux phases d'actions ne sont pas obligatoirement nunuche-ennuyeuses ; elles peuvent être, au choix, comiques, viriles mais correctes, etc...).

L'articulation entre les différentes scènes, entre les différentes cases est plus souple, plus riche.

Ouhlàlà, c'est trop compliqué, tout ça...

Du même coup, les gags sont plus soudains, le suspense est moins artificiel (nourri de l'humanité des personnages ; humanité qui s'impose grâce aux passages comiques ou aux passages « on n'est pas bien, là, entre mecs, dans les rizières »), l'action est réellement saisissante.

TOUT EST MIEUX.

Les situations deviennent plus complexes, les personnages réagissent de manière inattendue et deviennent plus profonds.

Le mélange et la superposition des couches apportent une sorte de confusion dans l'esprit du lecteur. Tout s'y mêle et il ne peut plus voir la bande dessinée qu'il a entre les mains comme l'application d'une recette de cuisine (il ne distingue plus les fameuses structures scénaristiques).

Il y a trop d'ingrédients ; et d'ailleurs, ils ont tous été déjà mélangés, touillés, pour en faire une pâte onctueuse (les intentions de l'auteur sont noyées, rendues indiscernables par la masse des éléments qu'il envoie dans la tête du lecteur, et leur superposition).

Il ne reste pas d'autre choix au fameux lecteur que de mettre le tout au four et de laisser cuire.

Ou, autrement dit, de se laisser porter par le récit, de se laisser embarquer par l'auteur (décidément trop fort pour lui).

Des mecs en débardeurs, balançant des vannes, coincés sur un camion, dans une rizière, attendant l'arrivée d'un avion intrigant.
Mais dites-moi, on ne serait pas dans une bande dessinée de Tillieux, par hasard ?

jeudi 11 juillet 2013

La bande dessinée joue aux dominos.

Mais alors, me direz-vous suite aux précédents messages décrivant certaines méthodes d'écriture à base de structures, existe-t-il d'autres méthodes possibles pour remplir un scénario. 

Hé bien oui ! 

Par exemple, Cauvin et Lambil nous expliquent que montrer des personnages qui se disputent comme un vieux couple, ça aide à faire avancer un récit.

 Raoul Cauvin & Willy Lambil, Les tuniques bleues – tome 23 – Les cousins d'en face, Dupuis.

AU CINÉMA.

Comme disait Tonton Hitchcock « plus réussi est le méchant, plus réussi sera le film »…

Alors, bon, on a beaucoup fait d'exégèse sur cette phrase et je ne prétends pas donner la vérité (en fait, si !) mais il me semble qu'une des interprétations possibles est : plus beau seront les combattants, plus beau sera le combat. Les combattants étant beaux (complexes, intelligents, etc.), ils auront plusieurs motifs de s’opposer, plusieurs façons de s’opposer, et tout cela nourrira le film. Le combat sera varié, le combat sera vivant, le combat sera intéressant.

On peut même faire une généralisation à tous les protagonistes d'un film : il ne s'agit pas de réussir le méchant et son lien avec le gentil, mais plutôt de réussir les liens entre tous les personnages. Le lien Méchant-Gentil, certes. Mais aussi le lien Gentil-Gentille, le lien Gentil-Gentil-copain. Etc.


Ici, l’antagoniste, c’est le téléphone (si !), mais la scène ne fonctionne pourtant que parce que le lien entre les deux protagonistes (les gentils) est fort. Pour qu’une scène soit réussie, il ne suffit pas que le lien Gentil-Méchant soit réussi. Il faut qu’il y ait le plus de liens possibles.

D’ailleurs, Scorsese vient nous rappeler que gentil, méchant, tout ça est assez flou, et que, effectivement, ce sont plutôt les différents liens (oppositions ou rapprochements) qui font avancer le schmilblick.

Antagonismes « croix – couple » ; puis, dans le couple, « homme – femme » ; puis, avec l'homme, « frère – frère ». 
(Antagonismes très légers, si vous notez bien.)

CHEZ LES TUNIQUES BLEUES.

La dynamique de l’ensemble des histoires dans les tuniques bleues se base sur les antagonismes des deux personnages principaux (oppositions politiques, militaires, morales, de caractères). Des oppositions entre Blutch et Chesterfield (la plus basique étant que Blutch est antimilitariste et Chesterfield très proche de son képi ; cet antagonisme se répercutant dans les questionnements militaro-politico-moraux qui courent dans tous les albums) qui vont dynamiser les histoires elles-mêmes. 

Petit message passé en douce. Ça peut pas faire de mal.

La série est à son meilleur (comme ici) quand elle concentre et multiplie les oppositions et les conflits entre le plus de personnages différents possibles, donnant du mordant et du rythme à toutes les scènes.

Le gradé-qui-ressemble-à-Futé-dans-l’agence-tout-risque ne fait pas que boire du café durant plus de 2000 pages de bande dessinée : il crée un antagonisme (et dynamise les scènes entre généraux).

Dans le livre qui nous occupe, Chesterfiel et Blutch (qui se chamaillent) (en bleu) sont sous les ordres du major Ransak (qu'ils n'aiment pas). Ils rencontrent les cousins de Chesterfield (qu'ils aiment bien mais qui sont en gris) (ils doivent donc se tirer dessus). Pour ne pas avoir à se battre, Chesterfiel va mentir à Ransak, et les cousins vont mentir à leur capitaine (qu'ils aiment bien, pourtant). Ça se complique encore d'un cran lorsque le capitaine des cousins reçoit l'ordre de mentir au major de Chesterfield.

MISÈRE...


Meuh non, où allez-vous chercher ça…

Les auteurs ont donc le syndrome Gilles de la Tourette de l’antagonisme : ils en foutent dans tous les coins. Ils les multiplient durant toute l’histoire, les rendent à la fois mouvants (les personnages changent de camp) et très logiques (les personnages ont toujours la même opinion ; seulement, cette opinion est soutenue parfois par un camp, et parfois par un autre) (ce qui sert le non-manichéisme des auteurs).

 Chesterfield ne fait pas n’importe quoi : c’est juste que son camp n’est plus du côté de sa morale personnelle. Alors il change de camp. Blutch, qui n'est dans aucun camp, ne bouge pas et sert de pivot. C’est compliqué la guerre.

Cette mobilité des personnages permet de passer d’une scène à l’autre tout en souplesse (on suit un personnage, il était dans un camp, pouf, il arrive dans un autre) tout en faisant ressortir à chaque fois l'ironie des différentes situations. (Pourquoi s'accrocher à cet antagonisme si on l'abandonne quatre cases plus loin ?)

Le jeu du « Marabout...Bout de ficelle...Selle de cheval » au fil des cases,  des personnages, et des enjeux.

ESSAYONS D'ÉNUMÉRER LES DIFFÉRENTES OPPOSITIONS CONTENUES DANS LE LIVRE.

L'affrontement classique (dans un album des tuniques bleues) entre Chesterfield et Blutch.

Une bonne gueulante, c’est toujours rigolo.

L'affrontement non moins classique Nord / Sud. (Une bonne guerre, y a qu’ça d’vrai.)

Antagonismes très légers entres personnages limite fleur bleue.

Des soucis qui dépassent les deux camps.

Savoir rester positif.

Et des camps qui dépassent les soucis.

Il faut se préparer au pire. Et le pire, Monsieur, c’est la guerre.

ROULEMENTS A BILLES DE DOMINOS.

Si on essaye de regarder plus particulièrement la fameuse relation entre Chesterfield et ses cousins (autant se concentrer sur le titre du bouquin), on peut voir qu’elle évolue sans arrêt, au gré des différentes alliances, des différentes situations.

Au centre de tout ceci, il y a la relation familiale et amicale certaine entre les trois personnages. Quand plus rien n’est possible, Chesterfield sort de son rôle de sergent-sans-peur et sauve la vie de ses cousins. Mais quand aucune vie n’est mise en danger, les personnages regagnent leurs camps et redeviennent des subordonnés. La relation Chersterfield / cousins est toujours là, mais ce sont d’autres liens qui prennent le relais et viennent au premier plan.

De cette manière, le récit ne perd jamais de sa continuité, de sa cohérence, de sa fluidité, mais il reste très varié, très vivant. Quand on épuise une situation, on passe facilement et rapidement à une autre. Et tout s’enchaîne comme une ligne de dominos. Quand le domino « Chersterfield et les cousins » est tombé (que la situation a bien était utilisée), sa chute entraîne un autre domino et on passe à « Les cousins et le capitaine », qui entraîne le domino suivant, etc… 

Toutes ces oppositions sont comme des roulements à bille aidant le récit à fonctionner avec le plus de douceur et de fluidité possible.

On était avec les bleus, mais les bleus bas de gamme, la piétaille qui a froid aux pieds (le domino « Blutch et Chesterfield »). Grâce aux dominos «Blutch et Chesterfield se disputent » et « Chersterfield et Ransack », on va aller un peu se réchauffer dans le wagon.


De plus, toutes ces oppositions nourrissent la scène. Tous les personnages se cachent des choses, il y a des duplicités à tous les niveaux, on voit les personnages froncer les sourcils, transpirer. Tout cela les rend d'autant plus vivants.

« Les cousins et le capitaine. »

« Chersterfield et les cousins. »

« Chersterfield et le capitaine. »

On était dans le camp des gris. Chesterfield passe. Grâce aux dominos : « le capitaine aime bien les cousins » et « les cousins aiment bien Chesterfield », on passe dans le camp des bleus, et on va suivre désormais ce que fait Chersterfield. 

Comme je l’espère, vous pouvez voir qu'il s'agit vraiment d'un jeu de « Marabout » - « Bout d'ficelle » - « Selle de ch'val » - « Ch'val de course »… Sauf que nous avons :  « Le capitaine et les cousins » - « Les cousins et Chersterfield » - « Chersterfield et Ransack » - etc…

(Des dominos, des roulements à billes, des selles de ch’val ! Que de métaphores (à la noix) !)

Quand il n’y a plus d’enjeux, que l’histoire est finie, qu’on n’a plus besoin de relancer la machine pour raconter autre chose, les antagonismes deviennent inutiles et disparaissent.

Finalement, on est tous copains.

ALORS, BIEN SUR, C’EST COMPLIQUE.

Mais cela permet de faire des cases dans lesquelles « il se passe quelque chose ».

Les personnages sont vivants, ils pensent, ils s’engueulent, ils se moquent, ils se cachent des choses, ils essayent de se comprendre. Ils sont mouvants. Ils sont humains. C'est cette humanité qui diffuse dans tous le livre et appuie / rejoint / est supportée par le thème anti-militariste de l'histoire. C'est cette humanité qui nous séduit, nous intéresse, nous accroche, et nous pousse à suivre une belle histoire.

vendredi 5 juillet 2013

La bande dessinée est un picon citron.

Goscinny et Gotlib nous montrent qu'ils sont de grands poètes tragiques.


Marcel Gotlib & René Goscinny, Les Dingodossiers, Dargaud.

Dites donc, c'est drôlement bien, les Dingodossiers... Je vais en rajouter une couche.


Toujours René Goscinny & Marcel Gotlib, toujours Les Dingodossiers, toujours chez Dargaud.


Y A PAS QUE JOSEPH CAMPBELL DANS LA VIE. Y A AUSSI DES MECS EN TOGES.

En complément des derniers messages sur la structure campbellienne de beaucoup beaucoup de scénarios, essayons de voir une autre structure de base de beaucoup beaucoup de scénarios, enseignée dans à peu près tous les cours de scénario de l'univers : la structure en trois actes.

Nous nous la péterons alors dans les dîners chics en parlant de sous-objectifs du héros afin d'atteindre l'objectif principal (et les moyens de résoudre les sous-objectifs), d'incident déclencheur interne, d'incident déclencheur externe unique avec passage du premier au deuxième acte, d'obstacles externes, d'obstacles externes d'origine interne, de coup de théâtre, de point de non retour, et du fameux, très fameux climax médian de deuxième acte.

Bref, de tas de trucs bizarres qui ont été réfléchis pour meubler cette fameuse structure en trois actes.

Tout ça pourquoi ? Parce que, il y a plus de 2500 ans, Aristote a écrit sa Poétique. Et que dans sa Poétique, il a dit :
Une chose parfaite est celle qui a un commencement, un milieu et une fin
Voilà. C'est tout. Ils se creusaient moins la soupière, à cette époque, dites donc. Et de préciser :
Le commencement est ce qui ne vient pas nécessairement après autre chose, mais est tel que, après cela, il est naturel qu'autre chose existe ou se produise ; la fin, c'est cela même qui, au contraire, vient après autre chose par une succession naturelle, ou nécessaire, ou ordinaire, et qui est tel qu'il n'y a plus rien après ; le milieu, c'est cela même qui vient après autre chose, lorsqu'il y a encore autre chose après.
Ça a le mérite d'être clair, succinct, et de bon goût. 

Et c'est de là que tout est parti, que la notion des trois actes a fait son chemin (pour être finalement utilisée jusqu'à plus soif) ; l'idée première des théories actuelles étant qu'on peut découper un récit en trois parties, puis chaque partie en trois sous-parties, puis chaque sous-parties, etc... 

(D'où les « sous-objectifs du héros », les « incidents déclencheurs permettant de passer du premier au deuxième acte »et les « climax médians de deuxième acte ». Tout ça, ce sont des outils pour séquencer l'histoire en des bouts de plus en plus petits.)

Le problème, comme d'habitude, c'est qu'il ne faut pas suivre cette structure trop scolairement. Sinon elle risque de figer le récit dans des passages obligés qui rendent l'histoire trop prévisible (et trop pourrie). Il faut rester souple sur les appuis. Comme Gotlib et Goscinny.

PAR EXEMPLE :

Donc, là, il y a trois actes bien nets. 

Et, là aussi, il y a trois actes...

J'espère qu'on peut voir avec ces deux histoires qu'il ne faut pas essayer à tout prix de faire de ces « trois actes » « trois tiers » (erreur que font beaucoup de gens en voulant a tout pris étoffer la présentation des personnages (grosso modo le premier acte) ou la résolution des intrigues (le troisième acte), parce que ça fait plus sérieux).

Certes, bon, mais, me direz-vous « même Goscinny et Gotlib utilisent clairement les trois tiers quand il s'agit de construire un gag ».

Et c'est vrai.

Les trois actes en bien clair et bien carré. C'est pas compliqué : ça fait comme une valse.

Par contre, comme je le disais (vous écoutez pas, je suis blessé, je vais aller pleurer en boule dans ma salle de bain), il ne faut pas croire que cette structure est inaliénable. Parce que sinon on se force a faire entrer une histoire dans trois tiers là où une différence de rythme peut être nécessaire.

Cette erreur, Gotlib et Goscinny ne la font pas.

Les trois actes, d'accord, mais pas en trois tiers. Des fois, il faut savoir prendre son temps.

Et des fois, il faut savoir envoyer bouler les théories à la gomme.

Les structures, en scénario, c'est fait pour poser ses idées dessus et les mettre en valeur, mais :
  1. Il ne faut pas se faire bouffer par la structure. Il faut avant tout garder la logique du récit et, parfois, laisser tomber les théories du scénario.
  2. Il faut faire attention de ne pas répéter toujours et encore les mêmes personnages, les mêmes développements, les mêmes étapes, toutes ces choses qui rendent les livres et les films si prévisibles et si embêtants. Rompre la structure (comme Kirby, qui comprend le bazar mais décide d'en faire quelque chose de différent pour enrichir son récit), ça ne fait pas que du bien aux personnages. Ça fait aussi du bien au lecteur qui se trouve surpris.
Autrement dit, les dosages de structure, c'est un peu comme ça :


BON. MAIS AU FAIT...

La théorie des trois actes, c'est bien beau, mais Aristote ? Comment il pensait qu'il fallait remplir un récit, Aristote ? Essayons de décortiquer d'autres passages de la Poétique pour le savoir...

ALORS, ATTENTION !

La Poétique d'Aristote analyse la construction d'une pièce de théâtre tragique. (Et encore... D'une pièce de théâtre tragique antique.) Pas d'un roman. Pas d'un scénario de film. Pas d'une bande dessinée. A cela, plusieurs raisons :

  • La bande dessinée n'existait pas au temps d'Aristote.
  • L'unique exemplaire du second tome de La poétique d'Aristote écrit au sujet de la comédie a été brûlé dans une abbaye italienne en 1327, pas de bol.

  • Les bribes de textes d'Aristote traitant de la comédie ne sont pas tip-top ; alors autant se concentrer sur ce qu'Aristote maîtrise le mieux.

On n'oubliera donc pas d'avoir l'esprit large et de généraliser les propos d'Aristote à n'importe qu'elle forme de fiction...

BREF, VOYONS COMMENT ARISTOTE DÉFINIT PLUS OU MOINS UN RÉCIT.
La tragédie est l'imitation d'une action grave et complète, ayant une certaine étendue, présentée dans un langage rendu agréable et de telle sorte que chacune des parties qui la composent subsiste séparément, se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d'une narration, et opérant par la pitié et la terreur la purgation des passions de la même nature.
Sur ce point, Aristote précise encore :
Le point le plus important, c'est la constitution des faits, car la tragédie est une imitation non des hommes, mais des actions, de la vie, du bonheur et du malheur ; et en effet, le bonheur, le malheur, réside dans une action, et la fin est une action, non une qualité.
Il s'agit alors de représenter les actions des personnages, sans se prendre le chou avec leurs psychés, qui découleront et que l'on comprendra tout naturellement en les observant.

C'est de l'action que découle tout le reste. pas la peine de caractériser les personnages. 
Leurs caractères peuvent être déduit directement de ce qu'ils font.

Pour ce qui est du récit « se développant avec des personnages qui agissent, et non au moyen d'une narration »... Bon, là, c'est plus compliqué. On pourrait me dire très facilement « dans l'extrait précédent, il y a des narratifs, et, sans eux, on n'arriverait pas à faire avancer l'histoire ». 

Moi, je pense plutôt que c'est la seule action de la bande (le chien qui tire la langue) qui est le déclencheur de l'histoire. C'est cette action qui induit les développements qui vont suivre. Les personnages ne vont pas agir parce que les auteurs leurs disent « bon, allez, c'est parti, il faut faire ci, il faut faire ça ». Les personnages vont agir parce que le chien tire la langue.

Action -> Réactions. On peut pas faire plus simple.

Ces actions permettent de remettre les personnages au centre du bazar. Ce sont eux qui agissent. Ils semblent maîtres de leurs destins. C'est très utile, parce que, encore une fois, cela gomme la structure. On oublie les auteurs et leurs petite cuisine. On suit les personnages qui semblent indépendants. Le chien tire la langue ? Bin, il faut le dresser, oui, ça semble logique. C'est aux personnages que réagissent les lecteurs. Pas aux auteurs.

Cette méthode facilite l'identification aux personnages (qui paraissent vivants, indépendants) et à leurs actions, auxquelles on peut réagir comme on réagirait à un évènement qu'on observerait dans la rue. Ce que Aristote traduit par :
Ajoutons que les parties de la fable les plus propres à faire que la tragédie entraîne les âmes, ce sont les péripéties et les reconnaissances.

Le gag est géré par les narratifs, c'est vrai, mais les sentiments des personnages, qui les rendent attachants et qui font que l'on s'identifie à la situation et qu'on se reconnaît en eux lui, sont gérés uniquement par leurs actions.

Et, finalement, ces actions qui nous semblent si vraies permettent de décrire, en creux, nos propres vies, que nous reconnaissons un peu dans celles des personnages. Ou, encore :
[Les poètes] montrent implicitement les mœurs de leurs personnages au moyen des actions ; de sorte que ce sont les faits et la fable qui constituent la fin de la tragédie; or la fin est tout ce qu'il y a de plus important.
Ce n'est pas tout : si l'on débitait une suite de tirades morales et des discours ou des sentences bien travaillées, ce ne serait pas là ce que nous disions tout à l'heure constituer une œuvre tragique on le ferait beaucoup mieux en composant une tragédie où ces éléments seraient moins abondants, mais qui posséderait une fable et une constitution de faits.
Décrire la société en montrant les actions des personnages.
(Bon. OK. D'accord. Là, c'est un tout petit peu forcé.)

RÉSUMONS-NOUS.

Aristote lui-même conseille de ne pas se focaliser sur la structure (et la narration) mais de bien plus travailler sur l'identification des lecteurs aux personnages (et à leurs actions). C'est grâce à ce lien que se réalise cette fameuse suspension volontaire d'incrédulité qui nous donne envie de poursuivre un récit plutôt que de balancer le bouquin par la fenêtre.

POUR FINIR, RIEN QUE POUR LE PLAISIR.

Si nous reprenons la précédente citation, pour nous intéresser à sa fin  :
Ce n'est pas tout : si l'on débitait une suite de tirades morales et des discours ou des sentences bien travaillées, ce ne serait pas là ce que nous disions tout à l'heure constituer une œuvre tragique ; on le ferait beaucoup mieux en composant une tragédie où ces éléments seraient moins abondants, mais qui posséderait une fable et une constitution de faits.
On peut réellement penser que Goscinny et Gotlib et Aristote sont en communion d'esprit. En effet, côté épure (les éléments moins abondants) pour mettre en avant l'action (la constitution des faits), les Dingossiers sont à la pointe de l’aristotélisme.


La poétique d'Aristote : une illustration d'époque. (Très rare.) (Très cher.)
(Au passage : la première bande est bien en trois actes, et la seconde bande est en pas d'acte du tout.)

Dans toutes ces cases, aucune fioriture. Si un élément y est mis, c'est qu'il est utilisé : le sucre, le tabouret, le policier interviennent tous à propos, pour servir l'action. Aucun décor. Aucun personnage pour faire rigolo dans le fond. Juste le strict nécessaire. Ce qui permet de réaliser « une constitution de faits ».
Il en est de même dans les arts du dessin ; car, si l'on étalait pêle-mêle les plus riches couleurs, on ne ferait pas autant plaisir qu'en traçant une figure déterminée au crayon.
Ce en quoi on voit qu'Aristote défendait les Dingodossiers et la bonne bande dessinée 2000 avant son invention. 

Il est fort, ce cochon ! 

(Mais pas autant que Gotlib et Goscinny.) 

(Bon, allez, pour ne vexer personne, disons : un partout, la balle au centre.)